Benoît, vous vous consacrez à la question de la transition écologique dans les transports… vaste sujet !
Vous vous souvenez peut-être que je n’étais pas exactement emballé par la taxe sur les billets d’avion. Bien sûr, il faut la mettre en place, mais si elle avait un vrai impact, cela se saurait … Alors pour alimenter le débat, je vous propose aujourd’hui trois idées un peu plus radicales pour accélérer la transition de notre mobilité vers un modèle vraiment durable. Et vous le verrez, je ne me suis pas privé de laisser parler le bolchévique collectiviste qui sommeille en moi.
On commence ainsi avec une première proposition : la suppression des lignes aériennes intérieures. Oui, vous m’avez bien entendu. Fini, terminé, loin du bal. Entre les deux aéroports principaux du pays, à Zurich et Genève, par exemple, le train remplacerait entièrement l’avion, grâce à une amélioration notable de la connexion entre les deux. Attendez, avant de sortir les griffes : cette mesure aurait un précédent historique important, puisque jusqu’il y a peu, on interdisait aux entreprises de car de faire concurrence aux lignes ferroviaires. Pas de Genève – Lausanne en bus. Au nom de la durabilité et des investissements publics consentis dans le rail. Alors, on fait pareil avec l’avion, on rénove la ligne pour ramener le trajet en-dessous de deux heures, et hop ! On fait découvrir la Suisse et ses paysages aux voyageurs en correspondance, et on économise des litres de kérosène et des tonnes de gaz.
Révolutionnaire, en effet… vous avez encore mieux ?
Oui ! Deuxièmement, on transforme tous les centres urbains en zones de rencontre ou en zones piétonnes, et on s’assure qu’il ne soit plus possible de les traverser d’un bout à l’autre. Le cœur des agglomérations reste accessible en voiture, mais ensuite le trafic est redirigé sur des ceintures routières ou autoroutières. Pour se déplacer en ville, les transports publics, le vélo, la marche à pied deviennent une évidence. Bonus : on vit mieux, on se rencontre plus, et on respire plus sainement…
Mesure numéro trois : transférer sur le rail tous les camions qui sillonnent le pays en transportant des marchandises. Et quand je dis transférer sur le rail, c’est au sens propre, puisque la remorque d’un convoi routier vient simplement en roulant s’installer sur un wagon, sans nécessité d’une grue pour transférer des conteneurs par exemple. Et quand je dis tous les camions, c’est au sens propre aussi, en commençant par exemple par l’axe nord-sud qui traverse le pays et les Alpes. En 2015, une étude de l’EPFZ a démontré que c’était possible grâce aux deux tunnels du Gothard. Et si vous avez l’impression que cette politique des transports n’a rien à envier aux plans quinquennaux soviétiques, sachez que la réduction drastique du nombre de passages de camions est prescrite par un manifeste communiste appelé… Constitution fédérale, depuis l’adoption de l’Initiative des Alpes. Le peuple a alors voulu un objectif ambitieux, aujourd’hui loin d’être tenu: il est temps de respecter sa volonté !
Promesse tenue, trois idées pour réduire l’empreinte des transports sur le climat. Bon, peut-être est-ce la dernière qui est la plus réaliste ?
Réaliste techniquement, sans aucun doute. Faisable politiquement, peut-être demain ou plus probablement après-demain. Mais une chose est sûre : si nous prenons au sérieux l’idée de lutter contre le réchauffement climatique et de préserver la possibilité de la vie humaine sur terre, il faut dépasser les limites que nous tendons à nous laisser imposer sur ce qui est possible ou non. Et ne pas avoir peur, au risque d’être un peu décoiffés, d’ouvrir grandes les fenêtres sur les autoroutes de la politique des transports.