Plusieurs acteurs de la société civile genevoise se sont unis pour publier un rapport accablant intitulé "Manifester c'était mieux avant" et qui dénonce les méthodes de la police cantonale genevoise envers des manifestants. Le Conseiller d'Etat Mauro Poggia est notamment accusé d'avoir durci à l'excès les conditions de manifester. Une démarche qui ne serait fondée sur aucune base légale. Les signataires parlent de harcèlement judiciaire contre les manifestants.
C'est un document explosif qui a été dévoilé ce matin à la Maison des Associations par la Coordination Genevoise pour le droit de manifester. Ce regroupement de partis politiques de gauche ainsi que de plusieurs syndicats et d'associations a publié un rapport sur la régression de la liberté de réunion pacifique à Genève entre 2015 et 2019. Il égratigne sérieusement les méthodes de la police genevoise envers les manifestants. Les forces de sécurité auraient fait preuve de dissuasion envers les manifestants ainsi que d'un usage démesuré de la force.
Une modification qui date de 2012
La discorde trouve son origine en 2012 suite à une manifestation contre l'Organisation Mondiale du Commerce ayant impliqué des troubles à l'ordre public. La Loi genevoise sur les manifestations sur le domaine public (LMDPu) a fait l'objet d'une importante révision, visant principalement l'instauration d'une responsabilité pénale et civile de l'organisateur. Suite à son adoption, la LMDPu a fait l'objet d'un recours au Tribunal fédéral qui a considéré que certaines dispositions attaquées restaient compatibles avec la Constitution fédérale à condition d'être interprétée restrictivement. Selon les plaignants, quelques années plus tard, la pratique a démontré que ce changement législatif a impliqué une restriction notable du droit de manifester à Genève.
Des méthodes répressives illégales
Le rapport dénonce les agissements de la police cantonale genevoise qui aurait tout fait pour dissuader les manifestations. Elle aurait entre autres interdit certains itinéraires, empêché les manifestations devant des lieux symboliques comme les ambassades et contrôlé les pancartes des manifestants, tout cela sans justification apparente. Les forces de l'ordre sont également accusées d'avoir filmé sans motif valable des manifestations pacifiques. Des méthodes et des agissements qui intimident les jeunes manifestants pour le climat, à l'image d'Enora Stein, militante de la grève pour le climat.
L'un des points sensibles de ce rapport est l'utilisation abusive d'émoluments de la part des forces de l'ordre comme moyen de dissuasion. Les manifestants doivent systématiquement déposer leur demande de prendre la rue au minimum 30 jours avant l'événement. Un délai compliqué à gérer puisqu'il est difficile pour les manifestants de s'organiser autant à l'avance. En cas d'événements exceptionnels, le délai peut être réduit à 48h.
Les membres de la coordination se plaignent que depuis janvier dernier, la police tente de dissuader ces rassemblements non annoncés au délai prévu d'un mois, avec notamment des sanctions. Si les demandes sont hors-délai, la police utilise ces émoluments comme sanction pour son dépôt tardif. De plus, l'émolument facturé dans ces cas s'avère souvent être le maximum légal de 500 CHF, ce qui peut représenter une grosse somme pour les étudiants qui manifestent pour le climat par exemple.
Il faut aussi payer de sa poche les différents panneaux signalétiques, ce qui peut s'élever à près de 400 CHF par manifestation. Cette nouvelle pratique instaurée par le Conseil d'Etat ne se fonde sur aucune base légale selon Pierre Bayenet, député d'Ensemble à Gauche au Grand Conseil.
Des sanctions pénales systématiquement déboutées
Selon les auteurs du rapport, plusieurs amendes auraient été infligées alors que les conditions légales n'étaient pas remplies. Pour preuve, lorsque les personnes s'y sont opposées, les amendes ont toutes été classées par le Service des contraventions ou ont fait l'objet d'un acquittement par le Tribunal de police. Pierre Bayenet parle de harcèlement judiciaire contre les manifestants et les organisateurs. La coordination genevoise pour le droit de manifester propose des solutions. Pierre Bayenet, député du Grand Conseil d'Ensemble à Gauche.
7 recommandations
Les signataires présentent 7 recommandations dans ce rapport, comme l'abandon du principe de l'autorisation préalable, l'autorisation de manifester devant les lieux symboliques, la suppression du délai de 30 jours pour soumettre une demande d'autorisation de manifester ou encore la renonciation à poursuivre tout participant à une manifestation pacifique tant qu'il n'a commis aucun acte répréhensible.
Contacté par la rédaction, le département du Conseiller d'Etat Mauro Poggia déclare ne pas avoir connaissance de ce rapport à l'heure actuelle et n'a pas souhaité réagir pour l'instant.
Miguel Hernandez et Robin Jaunin