Est-ce que vous êtes venu en trottinette électrique au studio aujourd’hui ?
Eh non, j’avoue que je préfère encore la bonne vieille marche à pied, si possible sans assistance motorisée ni batterie, tant que c’est possible. Par ailleurs, Lausanne n’a pas encore connu de déploiement massif de ces petits engins par des sociétés qui les proposent en libre-service, déblocables en tous temps avec un téléphone portable. Je me suis promis d’essayer… et puis quand j’ai vu que la flotte de l’un de ces fournisseurs venait d’être entièrement retirée à Bâle et à Zurich parce que les roues se bloquaient toutes seules en cours de parcours, je ne sais pas pourquoi, j’ai hésité.
Et vous n’êtes pas le seul à avoir des réticences face à l’invasion de ces nouveaux véhicules urbains.
On apprenait en effet cette semaine qu’une pétition avait été déposée par l’association « Mobilité piétonne » auprès du Département fédéral des transports. L’objectif : clarifier le fait que les trottinettes à assistance électrique ne peuvent pas circuler sur les trottoirs – cette revendication séparatiste vaut d’ailleurs aussi pour les vélos de toute nature, ainsi que pour les gadgets de type Segway ou skateboard à moteur.
Dans le monde, certaines villes, principalement américaines, comme San Diego, prévoient ainsi déjà de créer, en plus des bike lanes, les pistes réservées aux vélos, des scooter lanes spéciales pour les trottinettes électriques. Ailleurs, comme à Madrid ou Los Angeles, on a décidé de prohiber les flottes que des loueurs déversent sur les trottoirs et qui encombrent rues, places et jardins publics.
Autoriser, interdire, aménager des voies dédiées… quelle est la bonne option ?
Eh bien, aucune des trois. Ces malheureuses trottinettes masquent une question plus profonde, et réellement politique : à quoi sert l’espace public, et comment est-il réparti ? Depuis les années 1960, la réponse est assez claire : d’abord les voitures en mouvement. Puis les voitures stationnées. Et enfin s’il reste un peu de place, les piétons, les cyclistes et les autres… Le journal le Monde avait ainsi montré qu’à Paris, capitale pourtant à l’étroit dans ses murs, la moitié de ce fameux espace public était réservé à l’automobile.
Il faut donc oser le dire : on ne pourra pas à la fois conserver le trafic individuel, avoir des transports publics plus rapides, créer des voies dédiées pour les vélos puis d’autres pour les trottinettes, et espérer encore qu’il persiste une place pour les simples bipèdes faisant usage de leurs deux pieds – voire éventuellement, rêvons un peu, pour s’asseoir cinq minutes sur un banc ou pour jouer au ballon avec un gamin.
Alors, la trottinette électrique, pourquoi pas. C’est pratique et silencieux. Mais quel est le vrai but de long terme? Il doit être de rendre aussi nos rues plus conviviales et plus respirables, tout en permettant à tout le monde de se déplacer. Pour cela, il faut surtout ouvrir le débat sur le partage d’une richesse qui n’est par définition pas extensible : le sol, en particulier dans les agglomérations. Et très probablement, réduire progressivement la place des voitures individuelles plutôt que de s’attaquer aux trottinettes. Alors on peut mener ce débat sur smartphone, via une app dédiée, en comptant les likes pendant qu’on circule sur nos e-bikes (avec un casque du coup). Mais on n’y coupera pas.
https://www.radiolac.ch/podcasts/les-signatures-18012019-081843/