Aznavour est mort il y a deux jours, donc. Aznavour est mort, et c’est toujours la même chose lorsqu’un homme ou une femme célèbre meurt: dans les secondes qui suivent, les réseaux sociaux, les ondes des radios, les plateaux télé se remplissent de gens, évidemment moins connus que le mort, qui lui rendent hommage. Mais attention, pas n’importe comment: en parlant si possible davantage d’eux-mêmes que du défunt : ça n’a pas manqué pour Charles Aznavour.
Dans le désordre, j’ai eu droit sur mon fil internet au politicien qui se souvient l’avoir rencontré avec des camarades de parti dans les couloirs de son palais fédéral, au directeur de festival qui témoigne de la présence du chanteur dans son festival, à tel président d’association qui raconte avoir inauguré un monument arménien en sa compagnie, à la multitude de mes confrères journalistes qui se souviennent tous avoir réalisé le meilleur interview de leur vie avec lui, au restaurateur qui l’a reçu dans son restaurant. Evidemment, c’est la photo qui fait foi: moi et Aznavour par ci, Aznavour et moi par là, moi et moi au concert d’Aznavour, moi dans le resto de la fille d’Aznavour. C’est à qui prouvera qu’il a été le plus intime avec la star, le plus fan de la star, qui pourra prouver qu’il l’a reçu dans son salon, dans sa cuisine, voire plus si entente. Enfin, on a l’occasion de les sortir, ces photos dont on est si fiers mais qu’on a jamais l’occasion de sortir!
Nous avons eu droit, vous aussi à tous ceux qui nous balancent La Mamma en jurant qu’ils ne peuvent pas écouter cette chanson sans pleurer parce qu’elle leur fait penser à leur maman à eux. Nous avons eu droit à tous ceux qui postent de mauvaises vidéos de concerts d’Aznavour un peu partout dans le monde juste pour montrer qu’ils y étaient, eux aussi. C’est bien sûr magnifique de laisser autant de traces, de souvenirs, chez les gens de toutes sortes. C’est émouvant que chacun ait l’impression d’avoir eu une relation privilégiée, spéciale avec Aznavour.
Mais enfin, nom d’un petit bonhomme, quelle horreur que cette civilisation du Moi Je, du Moi d’Abord, du Moi Surtout! Dieu que c’est agaçant ce narcissisme à tout prix!
Pourquoi ce besoin de prouver à tout prix que le mort nous appartenait aussi? Pourquoi cette avidité à utiliser le mort pour se faire valoir, se valoriser, se mettre en avant, attraper un peu de sa lumière, de sa célébrité? Qui est mort, à la fin, Aznavour ou ses fans?
Moi, j’ai des photos avec Godard et Mireille Mathieu que je pourrai bientôt utiliser, je ne vous dis pas à quel point je suis impatiente d’avoir enfin l’occasion de les montrer au monde entier! Et puis des photos avec Darius ou miss Suisse que je garde précieusement pour le jour où. Il faut enfin que nous pensions à nous prendre vous et moi en selfie dans le studio, on verra bien le premier qui en fera usage avec un commentaire aussi attendri que nostalgique!
Sur ce, excellente journée.