Des antennes 5G accusées d’avoir déclenché la pandémie de Covid-19 aux rumeurs d’élites secrètes manipulant le monde, les théories du complot prospèrent comme jamais. Elles circulent à une vitesse fulgurante sur les réseaux sociaux, mobilisent des communautés entières et, parfois, provoquent des dégâts bien réels.
Mais si nous y croyons si facilement, ce n’est pas seulement à cause de Facebook, X ou TikTok. Le problème est plus profond : il est inscrit dans notre cerveau.
Une faiblesse héritée de l’évolution
Notre esprit est une machine formidable, mais limitée. Comme le rappelle le site scientifique Live Science, notre capacité à traiter des informations complexes est réduite. Face à des événements difficiles à comprendre, nous prenons des raccourcis.
Ces raccourcis nous conduisent à plusieurs travers : s’accrocher à nos croyances préexistantes plutôt que de remettre en question notre vision du monde, rejeter ce qui ne cadre pas avec ce que nous pensons déjà savoir, chercher un coupable identifiable plutôt qu’accepter le hasard ou la complexité.
Ce dernier réflexe est particulièrement puissant : il explique pourquoi nous avons tendance à voir la main d’une entité malveillante derrière les catastrophes, de la peste au Moyen Âge aux pandémies actuelles.
Quand les biais cognitifs déforment la réalité
Les psychologues parlent de pensée dysfonctionnelle : une manière de raisonner biaisée, qui nous fait percevoir le monde de façon erronée. Parmi les biais les plus puissants :
Le biais de confirmation : nous accordons plus de poids aux informations qui vont dans notre sens, et rejetons celles qui nous contredisent.
La pensée intentionnelle : face à un événement inexplicable, nous préférons croire à un plan caché plutôt qu’au hasard.
La simplification extrême : nous aimons les récits clairs, avec des bons et des méchants.
Ces mécanismes ne datent pas d’hier. Ils expliquent autant les chasses aux sorcières du XVIe siècle que la défiance envers les vaccins ou les fantasmes autour de la 5G.
L’amplificateur des réseaux sociaux
À eux seuls, ces biais n’expliqueraient pas la déferlante actuelle de théories complotistes. Ce qui change aujourd’hui, c’est la caisse de résonance des réseaux sociaux.
Une vitesse inédite : autrefois, les rumeurs se propageaient de bouche à oreille, lentement. Aujourd’hui, un tweet ou une vidéo TikTok peut toucher des millions de personnes en quelques heures.
Des bulles de confirmation : les algorithmes privilégient ce qui attire l’attention. Plus un contenu est choquant ou polarisant, plus il est mis en avant.
Les super-diffuseurs : influenceurs, personnalités publiques ou figures médiatiques amplifient les récits mensongers, parfois consciemment, parfois non.
La pensée de groupe : sur internet comme dans une salle de classe, beaucoup préfèrent se taire plutôt que de contredire la majorité apparente. Ce silence nourrit l’illusion d’un consensus.
L’exemple de la pandémie de Covid-19 est frappant : l’idée que les antennes 5G auraient déclenché le virus a mené à plus d’une centaine d’incendies criminels contre des infrastructures télécom en Europe.
La vérité ne fait pas le poids
Pourquoi ces théories séduisent-elles autant ? Parce qu’elles sont taillées sur mesure pour nous plaire. La vérité est souvent nuancée, complexe, difficile à expliquer. Le mensonge, lui, est simple, émotionnel et rassurant. Il exploite nos failles cognitives pour nous attirer. C’est pourquoi, comme le souligne Live Science, « la vérité ne peut tout simplement pas rivaliser avec le mensonge »… du moins pas sans efforts collectifs.
Comment lutter ?
Le défi est immense. Mais plusieurs pistes existent :
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Renforcer l’éducation aux médias : apprendre à vérifier une information, à identifier les sources fiables, à reconnaître ses propres biais.
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Responsabiliser les plateformes : limiter la diffusion des contenus mensongers, sanctionner les récidivistes, et rendre plus transparents les algorithmes.
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Encourager le dialogue : au lieu de stigmatiser ceux qui croient à un complot, chercher à comprendre leurs doutes et apporter des réponses claires.
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Cultiver l’esprit critique : accepter que douter est sain, mais que toutes les explications ne se valent pas.
Un combat pour la démocratie
Au-delà de la curiosité psychologique, la question est politique. Les fausses croyances sapent la confiance dans les institutions, fragmentent la société et, parfois, déclenchent des violences.
Comprendre pourquoi notre cerveau adore les théories du complot est une première étape. La suivante, bien plus difficile, consiste à construire une culture collective où la vérité, même moins séduisante, parvient malgré tout à se faire entendre.