C'est une petite bombe que vient de révéler une question écrite du député genevois d'Ensemble à gauche Jean Batou http://ge.ch/grandconseil/data/odj/020105/QUE00893A.pdf. Selon les réponses données ce vendredi par le Conseil d'Etat genevois, Pierre Maudet a obtenu des rapports confidentiels des services secrets suisses. Pour ce faire, le conseiller d'Etat s'est mis d'accord oralement avec l'ancien patron du Service de renseignement de la Confédération (SRC) Markus Seiler et avec le nouveau Jean-Philippe Gaudin.
Transmissions de main à main
En principe, les rapports de la brigade genevoise de sûreté intérieure (BSI) sont transmis uniquement au SRC. Ils peuvent être consultés par la commandante de la police Monica Bonfanti et le chef des opérations François Waridel - précédemment Christian Cudré-Mauroux. Or, "des copies des rapports classifiés confidentiels ont pu être adressées au conseiller d'Etat chargé de la sécurité qui les a ensuite transmises à son secrétaire général ou son chef de cabinet (Patrick Baud-Lavigne, ndlr) pour une éventuelle prise de connaissance", affirme le gouvernement genevois.
Concrètement, ces transmissions s'effectuaient "à intervalle régulier de main à main par la commandante de la police au conseiller d'Etat qui en est le supérieur hiérarchique, explique l'Exécutif. Le rythme de transmission de ces copies se faisait en fonction de la volumétrie des documents et de l'activité de la BSI".
Autorisation orale
Comment cela a-t-il pu se produire? L'explication est surprenante. "Une autorisation a été formulée oralement par l'ancien directeur du SRC directement à l'attention du conseiller d'Etat chargé de la sécurité, quelques mois après le début du mandat de ce dernier, lors d'une rencontre à Genève portant sur la situation genevoise sous l'angle du renseignement intérieur. Le nouveau directeur du SRC, entré en fonction au 1er juillet de cette année, a confirmé cette autorisation de principe lors d’une rencontre analogue durant l’été passé; il l’a même ensuite formalisée en en précisant le contexte et les conditions."
Le Conseil d'Etat genevois précise que le chef de la BSI a pu "également avisé oralement et à plusieurs reprises" le chef du service intérieur du SRC notamment de ces transmissions. "A aucun moment, signale-t-il, les membres de la direction du SRC n'ont émis un veto ou une quelconque remarque face à cette situation. Ils n'ont jamais demandé à ce que cette transmission cesse ou mentionné qu'elle n'était pas légale."
Quels contrôles?
Ces accords oraux et transmissions de main à main ont-ils fait l'objet de contrôles externes? Autrement dit, qui savait quoi de cette méthode? Le Conseil d'Etat genevois reste étrangement évasif. Le conseiller fédéral chargé du SRC Guy Parmelin n'est pas cité dans le document. En revanche, la délégation des commissions de gestion du Palais fédéral (DélCdG), chargée de la surveillance des activités du SRC, apparaît. Son degré de connaissance de ce mode de fonctionnement n'est toutefois pas clairement défini.
"Dans son rapport du 21 juin 2010, la DélCdG fait mention de la nécessité de l'assentiment du SRC pour que le Conseil d'Etat puisse consulter les données relevant de la protection de l'Etat, précise le collège genevois. Bien qu'il soit impossible de se substituer à la DélCdG pour pouvoir répondre avec certitude à cette question, il est toutefois possible d'envisager que cette interrogation a pu être soulevée lors du contrôle puisque une remarque à ce propos figure dans son rapport." Quant au contrôle genevois, il relevait de.... Pierre Maudet lui-même.
Poggia veut abandonner cette pratique
Interrogé par la Tribune de Genève, le nouveau ministre de la police, Mauro Poggia, a indiqué ce vendredi soir vouloir mettre fin à cette pratique. "Il y a des choses qui ne doivent pas être portées à ma connaissance, a-t-il indiqué. Je n’en vois pas l’utilité et je pense que ce serait à juste titre mal perçu par des personnes attentives au respect de la sphère privée. A moins d’une situation de crise, ma curiosité n’a pas à servir de base à ce type de transferts d’informations."
De son côté, le conseiller national genevois Carlo Sommaruga s'est dit "abasourdi" de cette nouvelle. "Je suis très étonné qu’une autorisation orale suffise pour transmettre des rapports aussi délicats. Il me semble qu’il y a là un dysfonctionnement. La transmission régulière d’informations sensibles ne correspond ni à la lettre, ni à l’esprit de la loi sur le renseignement. Je vous laisse imaginer si tous les conseillers d’Etat de tous les cantons pouvaient disposer de telles informations. Nos services secrets n’auraient plus rien de secrets. Nous prenions un risque énorme pour notre sécurité."
@raphaelleroy