Ce matin je suis triste, j’ai comme un gros chagrin d’amour: le Comptoir Suisse, c’est fini.
Le Comptoir Suisse ne soufflera jamais ses 100 bougies. Après 99 ans de fidélité, année après année depuis 1919, l’organisateur de foires et d'événements MCH Group tire un trait sur cette manifestation lausannoise qui n’avait plus de national que le nom.
Il fallait s’y attendre: en 1986, le Comptoir Suisse accueillait plus d’un million de visiteurs; dix ans plus tard, en 1997, ils étaient la moitié moins, soit 570'000; en 2018, dix ans plus tard encore, ils n’étaient plus que 60’000 visiteurs.
Alors bien sûr, je suis triste.
En tant que mère d’enfants citadins, c’était l’occasion unique de leur faire caresser des vaches et des moutons en prenant le même bus que pour aller à la Migros du quartier.
Je suis triste parce que pour une fois que le canton de Vaud se montrait mégalomane, en se targuant d’avoir un Comptoir « suisse » alors que presque tous les cantons alentours ont le leur, Valais avec la Foire de Martigny, Genève avec la Foire de Genève devenue les Automnales, Fribourg, même Payerne, Bullle, ça ne lui réussit pas.
Je suis triste, ce matin, parce qu’on nous vole la mort du Comptoir Suisse! Annoncer que l’édition 2018 était la dernière... une fois qu’elle a déjà eu lieu, c’est extrêmement désagréable, d’un mépris immense pour tous ceux qui d’une manière ou d’une autre tenaient au Comptoir. Ce n’est pas pour rien qu’on fait des enterrements de vie de garçons ou de jeunes filles: la fin des bonnes choses, ça s’enterre avec les formes! Si on avait su, on serait allé fêter cette der des der!
Mais il y a quelque chose d’étonnant dans cette annonce mortuaire qui me rend beaucoup moins triste:
Pour tout le monde, vous êtes d’accord Philippe, le Comptoir Suisse, c’est ou c’était, en gros, des vaches, des caves avec du vin pour le concours Jean-Louis, des saucisses et des dégustations de chocolat - et puis quelques autres stands autour pour faire un peu sérieux.
Or dans l’annonce de décès via le communiqué du canton de Vaud, le Canton et la Ville de Lausanne affirment leur souhait, je cite, «de voir émerger à Beaulieu une nouvelle manifestation recentrée autour de l’agriculture, de la viticulture et de la gastronomie». Si, si, «l’agriculture, la viticulture et la gastronomie ».
Les vaches, le vin et les saucisses, ce n’est peut-être pas de « l’agriculture, de la viticulture et de la gastronomie »? Si je comprends bien: on avait le Comptoir Suisse, on tue le Comptoir Suisse, et on veut relancer le Comptoir Suisse? On prend les mêmes et on recommence? Je ne doute pas que le Canton de Vaud et la Ville de Lausanne aient une vision de l’agriculture, de la viticulture et de la gastronomie absolument différente de la société MCH.
Mais enfin, l’agriculture, la viticulture et la gastronomie, c’est donc cela le futur, la modernité, l’avenir des foires? Parce qu’on ne croit plus en Dieu, on croit que les vaches, les vignerons et la bonne bouffe vont sauver le monde?
En fait, le Comptoir Suisse ne meurt pas parce qu’il était ringard, mais parce qu’il était trop moderne, carrément, insupportablement futuriste. Vous vous rendez compte, Philippe - des aspirateurs! des fers à repasser! des salons en cuir! des baignoires avec des bulles de massages! Quelle horreur! Au paradis des vaches, du chasselas et de la fondue, quelle accélération insupportable de la société, quels progrès intolérables!
Moi je dis: l’an prochain, pour sauver le Comptoir Suisse, c’est le Comptoir Suisse édition 1919 qu’il faut remonter!