L’approvisionnement énergétique de la Suisse est sans doute le plus gros dossier qui attend la conseillère fédérale Simonetta Sommaruga
C’est le moins que l’on puisse dire. Lorsqu’ils évoquent son futur département, les médias n’éprouvent aucune crainte tant tout semble aller pour le mieux dans cet îlot isolé au coeur de l’Europe. En pourtant, le futur énergétique du pays va lui donner du fil à retordre. Car si Doris Leuthard, charmante ministre en charge de la reconversion énergétique, a réussi fort opportunément, dans le contexte émotionnel consécutif au drame de Fukushima, à faire voter l’abandon du nucléaire, puis le programme Energie 2050, c’est bien son successeur qui aura la lourde tâche de le mettre en oeuvre.
Le compte à rebours a déjà débuté
Car dans tout juste une année, la centrale de nucléaire de Mühleberg, la première des cinq centrales suisses à avoir été mise en service, c’était en 1972, cessera sa production et s’engagera dans une longue, et très onéreuse, procédure de démantèlement. Peu après, ce sera le tour de celle de Fessenheim, en Alsace, de tourner l’interrupteur. Or les grandes compagnies suisses détiennent des participations dans cette ancienne centrale française d’EDF.
Ces fermetures ne constituent pas une surprise?
Certainement pas, et les actionnaires distributeurs ont bien entendu pris des dispositions pour assurer l’approvisionnement de leurs clients. Le producteur-distributeur vaudois Romande Energie a notamment pris des participations dans des parcs éoliens de la côte atlantique, mais aussi dans l’hydraulique, en France et en Suisse, où il a repris de petites compagnies, notamment dans le Chablais vaudois et valaisan.
Mais cela ne suffira pas
En tout cas pas en termes d’auto-approvisionnement. A ce stade, ce n’est pas dramatique. Le courant électrique n’a jamais été aussi bon marché en Europe. Au point d’ailleurs de rendre la production d’énergie hydraulique indigène peu compétitive. Et cela lorsqu’elle provient des grands barrages alpins. Car la période de sécheresse prolongée que nous venons de vivre a sérieusement plombé la production d’électricité sur des bassins comme celui de la vallée de Joux et de l’Orbe.
Il suffit de se tourner vers les énergies renouvelables
Parlons-en! Romande Energie a décidé il y a quelques années d’investir 500 millions de francs dans la reconversion et l’efficience énergétique. La compagnie vaudoise a réalisé de grands parcs photovoltaïques, notamment à l’Ecole polytechnique fédérale de Lausanne, l’EPFL, et ailleurs dans le canton. Elle a aussi investi dans des installations de production à partir de la biomasse. Et puis avec une persévérance qui confine à l’entêtement, elle a étudié plusieurs projets de parcs éoliens. Mais à chaque fois, elle se heurte à de vives oppositions. Cela fait tout juste vingt ans que le projet d’implanter une demi-douzaine d’éoliennes sur les hauts de Sainte-Croix a été lancé. La population a même donné son feu vert lors d’une votation. En vain. Les opposants viennent de recourir au Tribunal fédéral. Au terme de cette procédure, la compagnie aura déjà dépensé plusieurs millions de francs sans avoir produit un seul KWh.
Ne faudrait-il pas privilégier l’énergie solaire?
C’est bien ce qui a été fait, mais cette source a des limites. En particulier en automne-hiver, lorsque le Plateau Suisse est régulièrement recouvert une couche de stratus. Et en matière de stockage de l’électrique, on est encore loin d’avoir trouvé des solutions. A titre d’exemple, les actionnaires de l’entreprise Leclanché, à Yverdon-les-Bains, ont déjà investi plus de 125 millions de francs dans la mise au point de batteries au lithium et personne ne sait s’ils aboutiront un jour. Par ailleurs, contrairement à la Chine et aux Etats-Unis, l’Europe n’a pas mis au point un grand programme pour favoriser ce type de stockage. Et il n’est plus question d’énergies fossiles. Les députés vaudois viennent de proscrire toute action de prospection.
Pourquoi les consommateurs suisses ne manifestent-ils pas plus d’inquiétude?
Tout simplement parce qu’ils sont gâtés. Les pannes de courant sont rares dans notre pays, qui a trop pris l’habitude de se servir chez les autres. Le prix du courant électrique est très abordable sur le marché européen, mais personne ne s’interroge sur sa provenance. Car si l’Allemagne a renoncé à l’énergie nucléaire, elle a remis en route les centrales à charbon, une denrée abondante qu’elle peut acquérir à un prix d’ami chez son voisin polonais, où vient de s’achever la Conférence de l’ONU sur le climat, la COP 24… avec pour seul résultat un mode d’emploi pour mettre en oeuvre l’accord de Paris. On peut continuer à faire la sourde oreille et à fermer les yeux, en achetant du courant allemand, on contribue à augmenter les émissions de CO2.