Une décision de la Cour des plaintes du Tribunal pénal fédéral rendue publique lundi et portant sur la procédure en cours indique en substance que le Ministère public de la Confédération (MPC) a ouvert une instruction le 5 décembre 2023 contre les deux dirigeants et, subsidiairement, la SA et la Sàrl.
Cette enquête fait suite à la révélation en été 2023 d'une vaste opération de fichage et de désinformation menée par les sociétés concernées à la demande des EAU. Des centaines de personnes auraient été fichées entre 2017 et 2020 en raison de liens supposés avec les Frères musulmans ou le Qatar. Des campagnes de dénigrement dans les médias ou sur le Web ont suivi.
Les infractions portent sur l'obligation de déclarer une activité relevant de la loi sur les prestations de sécurité privée. L'enquête concerne aussi des griefs tels qu'actes effectués sans droit par un Etat étranger, service de renseignement politique, infraction à la loi sur la protection des données, calomnie et diffamation.
Cette procédure fait suite à une dénonciation du Département fédéral des affaires étrangères et d'un particulier. De son côté, le Ministère public genevois avait ouvert une enquête le 1er octobre 2023 à la suite d'une plainte également. La procédure genevoise a été reprise par le MPC. Selon AFP, l'islamologue Tariq Ramadan et une ministre belge figurent parmi les plaignants.
Mediapart
En France, l'affaire a aussi commencé l'an dernier, lorsque Mediapart a publié une série d'articles, en partenariat avec le consortium européen European Investigative Collaborations (EIC), accusant Mario Brero et ALP Services d'oeuvrer pour le compte des renseignements émiratis.
Au menu, selon le site d'investigations, transmission d'informations à un agent du renseignement émirati, diffusion d'informations pour nuire à des adversaires des Emirats, publication de faux articles attaquant le Qatar et les mouvements liés aux Frères musulmans...
Les Frères musulmans sont désignés par les Emirats, comme par de nombreux pays de la région, comme une organisation terroriste.
D'après Mediapart, l'officine privée suisse aurait notamment envoyé entre 2017 et 2020 aux services de renseignements d'Abou Dhabi les noms d'un millier d'Européens et de plus de 400 organisations supposément liées aux Frères musulmans dans 18 pays européens, dont plus de 200 personnes et 120 organisations en France, en les qualifiant, souvent à tort, d'islamistes proches des Frères musulmans.
En France, cette liste aurait notamment contenu d'après Mediapart l'ancien candidat socialiste à la présidentielle Benoît Hamon, l'adjointe au maire de Marseille et ancienne sénatrice Samia Ghali, le parti La France insoumise de Jean-Luc Mélenchon, le Centre national de la recherche scientifique (CNRS) ou l'autrice et militante antiraciste Rokhaya Diallo.
"Préjudice"
En France, Mediapart et un de ses journalistes ont déposé une plainte mi-janvier, a annoncé le site d'investigation à l'AFP.
D'après une source proche du dossier, la Brigade de répression de la délinquance aux personnes (BRDP) est également saisie de cette plainte visant, d'après la nouvelle présidente de Mediapart Carine Fouteau, à "dénoncer le fichage que nous estimons illicite (...) de l'un(e) de nos journalistes, assimilé(e) à tort à un(e) communicant(e) des Frères musulmans et, ce faisant, livré(e) en pâture aux services secrets émiratis".
"Ce fichage porte indûment atteinte à sa sécurité et à sa réputation, ainsi qu'à celles du journal", selon elle.
"Coopérer"
"Mediapart a, dans le cadre de sa plainte, fourni au parquet de Paris un document interne d'ALP Services qui liste les Français dont les noms ont été transmis aux autorités des EAU", a précisé Mme Fouteau, disant Mediapart "sur le principe, prêt à coopérer avec la justice afin de contribuer à la manifestation de la vérité et éviter, quel que soit le pays, que de tels faits ne se reproduisent."
Sollicités par l'AFP, l'avocat de Mario Brero n'a pas réagi dans l'immédiat, pas plus que les autorités émiraties. Contacté par Keystone-ATS, ALP Services n'a pas répondu non plus.
Mario Brero avait déjà été condamné en 2014 en France pour un recueil illégal d'informations sur l'époux de l'ancienne patronne du groupe nucléaire français Areva, Anne Lauvergeon. Le tribunal avait renoncé à une peine. (BB.2023.205-206 du 26 mars 2024)