La Suisse a dit oui d'un cheveu dimanche à une identité numérique, pilotée par Berne. Malgré le soulagement des partisans du projet, une large alliance, sauf l'UDC, de nombreuses craintes se sont exprimées et il faudra en tenir compte. Le projet a été largement plébiscité à Genève comme le montre notre carte.
Tous les sondages annonçaient le oui gagnant avec une marge assez confortable. Mais le scénario attendu n'a pas eu lieu. Le camp du non a tout d'abord fait la course en tête. Une majorité des cantons a d'ailleurs refusé le projet d'identité électronique.
Les résultats des communes urbaines et périurbaines du canton de Berne en faveur du oui ont renversé la vapeur en milieu d'après-midi, même si le canton a au global refusé l'objet par 51% des voix. Puis les résultats du canton de Zurich, qui a dit oui à 54%, ont définitivement confirmé la victoire des partisans de l'e-ID, par 50,4% des voix.
Au final, seuls huit cantons l'ont accepté, mais cela a suffi. Le poids des grandes villes comme Genève, Lausanne, Berne, Zurich et Bâle a fait la différence.
Suisse romande partagée
La Suisse romande était partagée. Le Jura a dit non à 56%, le Valais à 55%, Neuchâtel à 52%. En Suisse alémanique, la palme du non revient à Uri et Schwyz, avec plus de 59% de non. Glaris (58%), Obwald (57%), ou Thurgovie (56%) ont également nettement refusé.
A l'inverse, les cantons les plus enthousiastes sur l'e-ID sont Vaud et Bâle-Ville (57%). Genève a accepté à 55%. Fribourg (50,1%) et le Tessin (51%) ont aussi dit oui, mais de justesse. Zoug et Lucerne (52% chacun) ont aussi contribué au succès de l'identité électronique.
Au final, 1'384'549 citoyennes et citoyens ont glissé un oui dans l'urne, contre 1'363'283 un non. La participation s'est élevée à 49,6% pour cet objet.
Une e-ID suisse et étatique
A l'avenir, il sera possible de se servir de l'identité numérique sur Internet, pour demander un extrait du casier judiciaire, un permis de conduire ou une attestation de résidence. Mais aussi pour prouver son âge lors d'un achat d'alcool en ligne par exemple. Dans ce cas, l'entreprise concernée n'aura pas accès à l'e-ID elle-même, le magasin ne verra que si l'âge minimum a été atteint.
Le résultat serré du vote sur l'e-ID montre que le scepticisme sur ce thème est assez grand dans la population, a reconnu dimanche Beat Jans devant la presse. Le Conseil fédéral prendra au sérieux les inquiétudes et en tiendra compte, a-t-il assuré.
Le ministre de la justice s'est dit toutefois "soulagé". Il y a encore beaucoup à faire, et il faut "gagner la confiance" de celles et ceux qui ont voté non, mais ne sont pas fondamentalement contre une e-ID étatique.
Pas de chèque en blanc
"Ce projet étatique, facultatif et accessible à tous est une rare tentative de réduire notre dépendance aux géants du numérique. Refuser ce texte aurait été une occasion manquée de reprendre le contrôle face aux GAFAM", a dit la conseillère nationale Jessica Jaccoud (PS/VD).
Le soulagement est aussi palpable du côté de digitalswitzerland et d'EconomieSuisse: "l'e-ID est la clé pour des infrastructures numériques modernes à même de soulager non seulement l'Etat, mais également l'économie et la population", a dit la faîtière. L’experte en droit numérique Dessislava Leclère a résumé le dilemme sur le plateau de la RTS: "Le maître-mot, c’est la confiance."
Pour les référendaires, la mobilisation contre une numérisation jugée imposée reste une victoire d'estime. Alexis Roussel (Parti Pirate) a évoqué une inquiétude croissante face à la "contrainte numérique", portée par une volonté de défendre le "droit à une vie hors ligne". Le mouvement Mass-Voll! remercie, lui, "les 1'359'867 Suisses et Suissesses qui ont dit non à l'e-id liberticide."
Un premier rejet
En 2021, le peuple avait rejeté par près de 65% des voix l'introduction d'une e-ID. La Confédération prévoyait de sous-traiter l'exploitation des données et de la technologie à des entreprises privées, point qui a joué un rôle important dans le "non".
Le Conseil fédéral est rapidement revenu à la charge. La nouvelle e-ID sera étatique, ainsi que facultative. Toutes les démarches qui pourront se faire virtuellement pourront continuer à se faire physiquement, a promis le gouvernement.
Un référendum a été lancé par des plusieurs groupes, notamment des opposants aux mesures contre le Covid-19, ainsi que par le parti Pirate. Sur le plan politique, tous les partis représentés au Parlement fédéral, sauf l'UDC, soutenaient l'e-ID.
Opposants divisés
Contrairement à 2021, la bataille référendaire ne s'est toutefois pas faite sous le signe de l'unité. Cafouillages communicationnels, bisbilles personnelles et invectives ont rythmé la campagne du "non".
Mass-Voll impute d'ailleurs l'échec de dimanche aux autres acteurs du même bord. "Si l'UDF, les Jeunes UDC, les Amis de la Constitution, les petits groupes confus issus de la période du coronavirus et les pirates divisés n'avaient pas mené leurs propres campagnes peu efficaces et divisé le camp du non, nous aurions aujourd'hui un non massif", affirme-t-il.
Les opposants ont déposé la semaine dernière deux recours en justice contre la votation. Ils estiment que le don de 30'000 francs de Swisscom au comité en faveur de l'e-ID pour la campagne de votations est "illégal".
Avec Keystone-ATS