Paléo : souvenirs, orages et artistes de légende – la mémoire vivante du plus grand festival open air de Suisse
C’est dans une atmosphère chaleureuse, teintée d’émotion et de souvenirs parfois mythiques, que Daniel Rossellat et Jacques Monnier, les deux cofondateurs du Paléo Festival de Nyon, ont ouvert leur album de mémoire. De Charles Trenet à Paul Simon, en passant par Miles Davis, Oasis ou encore Neil Young, leurs récits tracent en filigrane une fresque passionnante de l’histoire du festival, qui s’apprête à fêter sa 50e édition en 2027.
Le pari fou de Charles Trenet
L’un des moments les plus inattendus et les plus marquants de l’histoire du festival remonte à 1989. Daniel Rossellat revient sur l’invitation risquée de Charles Trenet, alors que le chanteur n’était plus monté sur scène depuis longtemps. « Quand j’ai annoncé qu’on allait inviter Charles Trenet, même des gens qui me paraissaient vieux à l’époque m’ont dit : “Mais tu ne vas pas inviter cet artiste !” », se souvient Daniel. Le pari s’est révélé gagnant. Sur scène, Trenet commence timidement, mais dès les premières notes de Fidèle, la magie opère. « Au bout de deux chansons, tout le monde chantait avec lui. C’était bouleversant », raconte Jacques Monnier. Même Jacques Higelin, programmé juste après, a eu du mal à prendre la relève.
Ce concert d’adieu à Colovray, en bordure du lac Léman, revêt une valeur symbolique : c’était la dernière édition avant le déménagement du festival sur le site de l’Asse. « On avait la vague à l’âme », confie Daniel. Mais ce qui ressemblait à un échec a été transformé en opportunité. L’équipe a su réinventer le Paléo, repensant totalement la disposition du nouveau site.
Le jazz pour sauver la soirée : Miles Davis, tête d’affiche inattendue
1990 marque donc le premier Paléo sur le terrain de l’Asse, avec une programmation ambitieuse : Georges Moustaki, Claude Nougaro… et, de manière totalement inespérée, Miles Davis. Prévu en dernière minute après le désistement de Barbara, l’icône du jazz a bouleversé la soirée. « On ne pouvait pas l’annoncer à cause d’une clause d’exclusivité avec Montreux, alors on a collé des affiches le jour même à Montreux pendant son concert », raconte Jacques. Pour garder le secret, dans les discussions internes, Miles Davis était renommé "Kilomètre des Boulons".
Le public a afflué. Davis, d’ordinaire distant, fait face au public, sourit et livre une performance mémorable. Nougaro, qui partageait l’affiche, en est bouleversé. Une soirée magique, qui inaugure le nouveau site de la plus belle des manières. Même la pluie du dimanche, qui a obligé Robert Charlebois à jouer sous chapiteau, n’a pas terni l’éclat de cette première édition à l’Asse.
Les colères de rockeurs : le cas Oasis
Pour le 25ème Paléo, le public est nombreux, l’excitation est à son comble. Oasis s’apprête à monter sur scène. Vingt minutes plus tard, tout s’écroule. Liam Gallagher quitte la scène après quelques objets lancés depuis le public. Il revient brièvement, prévient : « Si quelqu’un lance encore un truc, c’est fini. » Quelques secondes plus tard, le concert est terminé. Cette fois, définitivement.
« On leur a dit qu’ils ne quitteraient pas le terrain avant le départ du dernier spectateur », se souvient Daniel. Résultat : Oasis enfermé dans sa loge, appel à l’ambassade britannique à Berne, coup de fil de la gendarmerie. « C’était une histoire rocambolesque », sourit-il aujourd’hui. L’incident a marqué les esprits, jusqu’à la presse anglaise. « On a appris plus tard que ce n’était pas un cas isolé, raconte Jacques. Des anti-fans achetaient des billets pour saboter leurs concerts. »
Aujourd’hui, alors que le groupe s’est reformé et joue à guichets fermés en Angleterre, Paléo pourrait-il leur ouvrir à nouveau ses portes ? « On va devoir mesurer notre degré de rancune », sourit Jacques. Daniel précise que les coûts pour accueillir Oasis semblent démesurés, sans trop y croire. « Ce serait plutôt pour des très gros festivals, ou des stades. »
Neil Young et la tempête
En 2013, c’est au tour de Neil Young d’électriser le Paléo... littéralement. Alors que le chanteur entame son concert, un orage dantesque s’abat sur Nyon. « En quelques minutes, on est passés de 35 000 personnes à peut-être 3 000 », raconte Jacques. Trempés jusqu’aux os, seuls les plus courageux restent. Neil Young, lui, reste stoïque, presque en fusion avec les éléments.
« Il a joué Like a Hurricane pendant 20 minutes, en répondant aux coups de tonnerre avec sa guitare », raconte Jacques, encore ému. L’image du clavier suspendu au-dessus de la scène, tanguant sous les rafales, reste gravée dans les mémoires.
Improvisation de génie avec Stéphane Eicher
Autre moment fort : 2019. Shaka Ponk annule sa prestation du soir pour cause d’extinction de voix. Que faire ? À peine quelques heures plus tard, c’est un concert unique qui voit le jour, fruit d’une création spontanée avec Stéphane Eicher, Robert Charlebois et des musiciens québécois présents sur le terrain. « C’était magique », affirme Jacques. « Si on avait voulu préparer ça pendant un an, ça n’aurait pas été aussi réussi. »
Paul Simon, sous la pluie et seul sur scène
La pluie, encore elle. Cette fois lors du concert de Paul Simon. Un déluge provoque des pannes techniques : tous les instruments lâchent, sauf un micro et une guitare. Daniel lui propose de monter seul sur scène, en attendant de tout rebrancher. Paul Simon accepte. Trois morceaux en acoustique, seul sous la pluie. « Un moment d’une intensité rare », résume Daniel.
Macklemore et Jean-Louis Aubert : communion avec le public
Et cette année ? « Macklemore a mis le feu dès la première chanson », s’enthousiasme Jacques. Le public a suivi en une fraction de seconde. Jean-Louis Aubert, lui, a offert un moment de nostalgie puissant. « Il rayonnait de bonheur, et le public le lui rendait bien », raconte Daniel. La magie Paléo, intacte.
(NDLR : l'interview a été réalisé le vendredi après-midi, tous les concerts ne se sont alors pas encore produits)
Caprices et anecdotes
Si aujourd’hui tout est millimétré, l’époque des caprices d’artistes a laissé quelques souvenirs croustillants. Chuck Berry exigeant un bonus en cash pour monter sur scène, l'équipe de Johnny Hallyday commandant des plateaux de fruits de mer qui ne seront jamais dégustés, ou encore les demandes de pianos blancs improbables, ont ponctué les décennies.
« Aujourd’hui, tout est mieux encadré, plus professionnel, plus fluide », expliquent les deux hommes. Même les horaires sont devenus suisses : « Si le concert est prévu à 20h30, il commence à 20h30. »
Paléo, un nom venu… d’un cheval
Et pourquoi ce nom, Paléo ? Une rumeur court qu’il s’agirait du nom d’un cheval sur lequel Daniel et Jacques auraient parié. Ce n’est pas une légende. « C’était un trotteur, Paléo. On avait parié dessus, on a gagné un peu d’argent, mais pas de quoi lancer un festival ! », sourit Jacques. Le nom leur a porté chance, et surtout, il était libre de toute connotation musicale ou géographique. Parfait pour un festival ouvert à tous les styles.
Et demain ?
Alors que la 50e édition se profile, décalée à cause de la pandémie, les fondateurs du Paléo continuent de rêver, de vibrer et de faire vibrer les milliers de festivaliers qui foulent chaque année les champs de l’Asse. Le Paléo a toujours su se réinventer, entre coups de poker, orages et instants suspendus.