Ces derniers jours, prendre le train réserve quelques surprises. Mardi passé, c’était pratiquement un shutdown ferroviaire entre Lausanne et Genève, et les réactions n’ont pas manqué.
Il se trouve que les CFF étaient le même jour en conférence de presse pour parler d’avenir, de modernisation et, inévitablement, de numérisation. Ils annonçaient ainsi qu’on ferait bientôt circuler 30% de trains en plus à infrastructure égale grâce à une meilleure géolocalisation des convois, pour réorganiser plus facilement le trafic en cas de perturbation et réduire la distance entre les trains. L’opérateur ferroviaire veut aussi mieux préparer les solutions de rechange lorsqu’une correspondance risque d’être ratée, et mieux informer les voyageurs en temps réel sur la gravité de la perturbation… Nous serions donc à une ou deux stations du meilleur des mondes ferroviaire, sauf que…
Les propositions avancées par les CFF peinent à convaincre.
« L’interCity 1 en direction de Genève est actuellement bloqué entre La Conversion et Pully-Nord en raison d’un dérangement de l’alimentation électrique » : certains d’entre vous l’auront sans doute constaté, les CFF font déjà un effort dans les annonces en gare pour nous dire directement quel est le problème. Au passage, on se demande franchement pourquoi on s’est soudainement mis à numéroter les lignes, comme s’il était nécessaire de distinguer encore plus nettement une ligne 1 Genève – St-Gall, prioritaire et bénéficiant de rames à deux étages, de la pauvre ligne 90 Brigue – Genève et ses wagons désespérément vétustes. Que celui ou celle qui entendra la première fois dire « je prends le prochain IC1 » au lieu de « j’essaie d’avoir le prochain train aux 42 » me fasse signe, je lui offre l’apéro.
Refermons ici cette parenthèse. Finalement, si l’information en live a évidemment son importance, l’essentiel n’est pas là. Au courant ou pas de la cause du problème, on est quand même en retard… Et en ce qui concerne les motifs de retard, justement, à l’ère du numérique, ils sont encore drôlement… analogiques.
Et les CFF ont aussi indiqué, en début de semaine, comment ils comptaient les réduire à court terme.
Le travail de la task force qui planche spécifiquement sur la Romandie et la ligne Lausanne – Genève, la plus densément exploitée de Suisse, se concentre sur des problématiques tout à fait XXe siècle : la coordination des travaux, ou encore la pose de barrières aux abords des voies pour éviter les plus effroyables des accidents, ceux qu’on appelle pudiquement accidents de personnes. Car enfin, avant de pouvoir injecter de la technologie dans les voies et les gares, il faut tout de même un peu les agrandir, avec du bon vieux béton, du bon vieil acier et du bon vieux ballast. Les investissements dans la région lémanique, pour lesquels les cantons se sont battus à juste titre, se comptent en milliards. Et tout comme le programme de numérisation des CFF, ils s’étendront jusqu’en 2040 au moins… Pendulaires de tous les cantons, il faudra donc vous armer de patience : ça risque de faire encore un peu mal avant de faire vraiment du bien.
Le monde des infrastructures vit dans les temps longs. On ne peut ni percer le Gothard, ni creuser le CEVA en deux coups de tunnelière à pot. Par contre, une fois en service, les équipements de transport marquent des générations, et ce sera le cas, par exemple, des nouvelles gares de Lausanne et Genève et des immenses augmentations de capacité prévues sur cette ligne.
Cependant il est vrai que le rail souffre, dans ces cas-là, d’un désavantage compétitif, qui est celui de reposer sur un acteur clairement identifiable. L’état du réseau, les chantiers, la gestion des retards, ce sont les CFF qui les assument. Par contre, lorsqu’on perd une demi-heure sur l’autoroute parce que là aussi le trafic est dense et les travaux nombreux, on ne peste rageusement sur Facebook ni contre le constructeur de sa voiture, ni contre le lointain Office fédéral des routes… Comme aiment à le dire d’eux-mêmes certains élus locaux en France, les entreprises de transport sont toujours à portée d’engueulade.
C’est peut-être aussi ça, le bon service public.
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