"Dehors", la signature de Thierry Mertenat
L’été qui s’éternise a inventé une nouvelle catégorie de sportifs: les nageurs en eau vive. Jusqu’ici, ils faisaient leurs longueurs en bassin fermé, à la queue-leu-leu, ressemblant à des chenilles processionnaires équipées de bonnets et de lunettes de natation.
Ce défilé aquatique a ses règles. On choisit son couloir, on le remonte à droite, on vire à gauche, et ainsi de suite sur un, deux ou trois kilomètres, en fonction du temps que nous laisse notre employeur, tôt le matin ou à la mi-journée, pour nous faire du bien.
Cete discipline collective finit par lasser les amateurs les plus obéissants, ceux qui ne visent pas le podium mais le bien-être. Aux heures de pointe en effet, les adeptes du crawl sont majoritaires, ils imposent une cadence qu’il n’est pas toujours facile de suivre. On se fait dépasser par plus rapide que soi, une fois, deux fois; à la troisième reprise, on comprend qu’il vaut mieux aller nager ailleurs si l’on veut éviter de se prendre une baffe ou un coup de pied involontaire.
Ailleurs existe à Genève. Avec son lac et son fleuve, notre ville offre quantité de bassins naturels et gratuits. De la Perle du lac à la pointe de la Jonction, les baigneurs de midi sont très nombreux. Ils font eux aussi leurs longueurs, tout en prenant le temps de se parler en nageant, d’échanger sur ce ressenti quotidien qui ramène inévitablement à la température de l’eau. En piscine, elle est toujours la même; dans le Rhône, elle se discute et fabrique du lien convivial.
Hier, par exemple, j’ai nagé à contre-courant, en aval du pont Sous-Terre, mon spot favori, dans une eau douce que je trouvais chaude pour la saison, alors que l’automne s’approche à grands pas. Mon voisin de brasse coulée soutenait au contraire qu’elle était plus froide que la veille et qu’il aurait dû mettre sa combinaison de natation.
Sur le ponton en bois indigène (du mélèze), faisant office de plage éphémère, une jeune femme se mêle amicalement à notre conversation: «L’application de mon smartphone m’indique que le fleuve est à 22 degrés aux Halles de l’Ile», lance-t-elle d’une voix amusée. Je la crois sur parole. Je viens de terminer mon kilomètre virtuel, une demi-heure d’immersion détendue, sans la moindre crampe, sans le plus petit grelottement.
Ces conditions de nage en eau vive me font oublier le stress des Vernets aux heures de forte affluence. Quant aux autres piscines extérieures, elles ont déjà fermé ou s’apprêtent à le faire, enfermées qu’elles sont dans leur calendrier administratif, sourdes au changement climatique qui devrait les encourager à plus de souplesse.
Une seule piscine olympique, celle de Lancy-Marignac, vit avec son époque: elle est ouverte tous les jours jusqu’au 21 octobre et dès 2019, elle sera même ouverte toute l’année, été comme hiver. Les abonnés de cette piscine-là se recrutent au bord du lac. Ils iront dès demain d’une adresse à l’autre, en traversant le fleuve, à la nage forcément.
Amis auditeurs, rien ne remplace la nage en eau vive. Profitez, car ce mardi, il fera encore 30 degrés à Genève. La plage de galets des Bains des Pâquis vous tend les bras. Les bords du Rhône en font de même. Bonne baignade à tous.