"Dehors", La Signature du 28 août 2018 de Thierry Mertenat
Vous portez un joli nom d’oiseau, cher Philippe Verdier, et vous avez exercé, m’a-t-on dit, le noble métier de météorologue. Suis-je bien renseigné? Mais alors que faites-vous là, dans ce studio flambant neuf, coupé du monde, sans fenêtre pour regarder passer les gens dans la rue, sans fenêtre pour suivre à l’œil vos amis les nuages qui défilent dans le ciel? Vous êtes comme moi, nous sommes tous les deux enfermés et filmés par ces maudites caméras qui nous fixent comme si nous avions des choses à nous reprocher.
Je ne les salue pas mais je vous salue, Philippe, avec cette chronique qui commence, «Dehors», c’est son titre, il est pour vous et pour tous les amoureux du plein air, du monde comme il va, du monde qui court et trébuche, au ras du bitume, au fil de l’eau et, bien sûr, dans le lac, quand le feu «y est», au lac, pour parler comme les Genevois.
Dehors, j’y suis tous les jours, et particulièrement durant le week-end, quand je suis de garde pour mon journal, la Tribune de Genève. Cela tombe bien car le samedi est souvent le jour le plus riche de la semaine. L’actualité se montre débordante et imprévisible. Il faut courir d’un lieu à l’autre, pédaler sur les quais et le pavé de la Vieille-Ville pour tomber sur une scène incroyable.
Là, devant le parvis de la Cathédrale Saint-Pierre, la tête d’une vache, d’un mouton et d’un taureau, oui d’un taureau, qui me regarde droit dans les yeux. Je reviens du sud de la France, j’ai vu durant tout l’été des férias dans les villages, des lâchers de toros camarguais et je me dis qu’un gardian à cheval va peut-être surgir au bout de la rue Calvin pour venir récupérer ses bêtes cornues égarées en terre calviniste.
Je me trompe bien sûr, c’est le début de la Marche pour la défense de la cause animale, c’est la journée mondiale des «antispécistes», ce nom si piégeux à prononcer que je ne le répéterai pas une deuxième fois devant vous. Des militants motivés qui prônent notamment l’abolition de la pêche. Je les quitte à mi-parcours de leur marche pour rejoindre justement nos pêcheurs indigènes, adeptes de la pêche urbaine.
Ils lancent l’hameçon triple entre les ponts du Mont-Blanc et les Halles de l’île. Quelle pêche miraculeuse à la vue de tous. Un vrai festival de déchets lourds et encombrants. Le grand nettoyage de cette fourrière aquatique remplie de vélos volés. Les bicyclettes sont tatouées de partout, recouvertes d’algues, colonisées par les moules zébrées. Je veux les mêmes pour camoufler ma bécane qui dort chaque nuit dehors, oui, dehors, au pied de mon immeuble.
Je me remets en selle pour filer au départ de la descente du Rhône, deux ponts plus loin. Du plein air festif cette fois, et même drôlement. Des radeaux à l’ancienne, avec bidons flottants et planches en bois, dérivent en direction de la pointe de la Jonction. La foule est partout et n’a d’yeux que pour le plus gros de tous, un radeau amiral plus grand qu’un dancefloor, avec un pont supérieur qui ressemble à un plongeoir.
Combien de pirates à bord? Une bonne trentaine. Ils dansent en musique et se préparent sans le dire à l’abordage. Car ce radeau est un Cheval de Troie. Les pirates accostent un bâtiment industriel à l’abandon réputé imprenable et décrètent aussitôt son occupation, en déroulant une banderole qui se voit de toutes les fenêtres des tours du Lignon. «Nous construisons un monde sans prison», dit la banderole en lettres majuscules.
Je n’ai pas le pied marin, cher Philippe, mais ces pirates d’aujourd’hui et de demain ont ma sympathie. Ils sont jeunes, pleins de rêves et de projets qui ne visent pas à enfermer les gens mais à les rendre, si possible, plus heureux. Où? Outside, Dehors, forcément. Je vous souhaite une journée pleine d’énergie flibustière. A la semaine prochaine.
Thierry Mertenat