On a appris hier que le Tribunal fédéral ne voulait pas trancher sur la possibilité pour les entreprises de payer leurs employés frontaliers en euros. Cela veut dire que cette pratique pourrait s’étendre en Suisse ?
En principe oui, mais le risque juridique reste considérable. Parce que rien n’est réglé dans cette affaire. On l’avait d’ailleurs un peu oubliée.
Décembre 2011, c’était il y a sept ans. L’industrie suisse paniquait parce que la valeur extérieure de l’euro était en train de s’affaisser. Elle a reculé de 30% depuis la crise financière de 2018. Et ça a rendu les exportations 30% plus cher.
Alors quelques rares entreprises avaient décidé de payer leurs frontaliers au cours euro/franc correspondant à l’époque à laquelle ils avaient été engagés. Les employés acceptent. Mais plus tard, alors qu’ils ont quitté l’entreprise, ils demandent une compensation. Conseillés par un syndicat probablement. C’est seulement là-dessus que le Tribunal fédéral s’est prononcé. Selon lui, les deux employés auraient dû refuser tout de suite
Ce qui veut dire quand même que payer des salaires en euros est une chose possible.
Oui, c’est bien là le fond du problème. Alors non, parce que ce serait une discrimination à l’égard de salariés européens. C’est-à-dire contraire à l’Accord sur le libre circulation des personnes avec l’Union. Or c’est précisément sur cette question que le TF n’a pas voulu se prononcer.
On devine en fait qu’il a préféré ne pas initier une jurisprudence dans un domaine devenu très instable : la libre circulation des personnes et la gestion des différends avec l’UE. Tout est bloqué de ce côté-là. Des décisions politiques doivent être prises sur l’Accord cadre actuellement en consultation. Le TF a en quelque sorte signifié par défaut que ce serait ensuite sur ce plan politique que les choses allaient devoir être tranchées.
Il s’agit de tout de même d’une discrimination. De toute évidence.
Oui, mais il n’est pas certain que cette discrimination était dans l’esprit des négociateurs lorsque la libre circulation a été conclue il y a vingt ans. Et si l’on sort des considérations strictement juridiques, c’est encore moins clair. La discrimination devient même positive. Est-il normal que des employés frontaliers vivent mieux dans leur pays de domicile grâce à un taux de change qui met l’entreprise en difficulté ? Donc ses emplois ? On pourrait dire aussi que ça devient discriminatoire pour les employés suisses.
Et comment les syndicats ont-ils réagi à cette décision du TF ?
Assez mal, mais pas trop. On les sent un peu empruntés. Ok, ce sont les syndicats de tous les employés. Mais les syndicats, c’est aussi la gauche. Et l’on est entré en année électorale. Unia veut attendre les considérants du TF pour voir ce que cela signifie. Sur le plan politique, a précisé la direction.
Il faut rappeler aussi que le conseiller d’Etat Pierre-Yves Maillard va bientôt entrer en fonction à la tête de l’Union syndicale suisse. Et Maillard, ce n’est pas du tout un soumissionniste européen. Et puis il y a le tandem Levrat-Nordmann, qui dirige le Parti socialiste à Berne. Ce sont deux Vaudois, proches de Maillard. Il ont proclamé la souveraineté salariale il y a quelques mois. Il y a aujourd’hui un souverainisme salarial en Suisse. Il est donc probable que cette décision du Tribunal fédéral ne va pas soulever des montagnes d’oppositions.
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