L’initiative parlementaire déposée par la conseillère nationale genevoise Lisa Mazzone demandant l’annulation des condamnations des objecteurs de conscience vous inspire ?
Totalement, car elle survient au moment où nos voisins français, qui ont suspendu le service militaire obligatoire il y a plus de vingt ans, planchent sur un nouveau Service national universel, le SNU. Ce projet est intéressant dans la mesure où il trouve ses racines dans un constat qu’on peut également réaliser en Suisse : le manque de cohésion nationale, mais aussi de grandes failles dans la culture et l’esprit de groupe, et une méconnaissance avérée des structures juridico-politiques du pays. Trouver de nos jours un adolescent capable de vous dire qui est président du Conseil fédéral est un défi. Alors qu’il fut un temps où n’importe lequel de ses camarades vous donnait la composition du Gouvernement sur le bout des doigts.
A quoi attribuez-vous ce manque de connaissances ?
Les causes en sont multiples. Mais la suppression de l’instruction civique dans le cadre de la scolarité obligatoire a certainement joué un rôle dans la méconnaissance galopante des institutions. Les autorités s’en sont d’ailleurs rendu compte et un peu partout, des cours de citoyenneté ont été aménagés dans le programme. Mais leur contenu est trop disparate pour corriger les carences. D’ailleurs, un candidat à la nationalité suisse, connaît généralement mieux les institutions du pays qu’un jeune Helvète, tout simplement parce que, devant une commission des naturalisations, c’est une exigence incontournable pour obtenir le passeport rouge à croix blanche.
Mais en quoi le projet de Service national universel français pourrait-il servir à la Suisse ?
Le projet que Gabriel Attal, le nouveau secrétaire d’Etat auprès du ministre de l’Education nationale et de la jeunesse, est chargé de concrétiser est aussi intéressant que réaliste. La partie obligatoire ne dure que quatre semaines. Les deux premières en internat, dans le but de forger la cohésion dans un cadre de grand brassage social, tout en apprenant les premiers secours et la conduite à tenir en cas de catastrophe, pour ne citer que deux domaines. Les deux semaines suivantes seront consacrées au développement d’un projet dans les domaines de l’environnement, de la culture, de l’aide de la personne, du tutorat scolaire ou de la défense.
L’armée n’est donc pas totalement absente du projet ?
Non, elle mettra d’ailleurs son expertise au service de l’organisation et trouvera sans doute dans ce nouveau type de service des candidats intéressés à faire carrière en son sein ou dans celui de la gendarmerie. Mais ceux-ci, et c’est sans doute un argument de poids en faveur du SNU, auront choisi en toute liberté.
Vous pensez sérieusement qu’un tel chemin pourrait être exploré en Suisse ?
Pourquoi pas, même si, à la différence de la France, nous ne disposons pas d’une véritable armée professionnelle? Les effectifs militaires ont fondu ces vingt dernières années. Et le fameux esprit de cohésion helvétique avec lui. Le dialogue confédéral souffre et les Romands qui s’en vont apprendre l’allemand de l’autre côté de la Sarine sont denrée rare. L’initiative de Lisa Mazzone est certes sympathique et naturelle émanant de la co-présidente de la fédération suisse du service civil, mais j’ai le sentiment qu’elle va alimenter une nouvelle polémique entre partisans et adversaires du service militaire obligatoire. Pourquoi finalement ne pas réinventer le service à la nation en lui donnant une base d’action plus large, susceptible de renforcer les liens dans la population, et avec le pays et ses classes dirigeantes.