"Une semaine à arpenter les rues de sa ville, à la recherche non pas du sensationnel, mais de l’insolite, du petit incident qui ramène un peu de surprise dans l’actualité du moment. Le moment est doublement plombé: par la météo hivernale (c’est janvier et il fait froid), par la météo politique (c’est Genève et l’on ressasse toujours les mêmes affaires).
Le localier du dehors en vient presque à se dire qu’il serait mieux dedans, plutôt que de tourner en rond dans ce ventre mou saisonnier, cet après-fêtes qui s’éternise, cette solderie géante qui brade à tous les étages les invendus de la veille, ces produits dévalués de la surconsommation que, hier encore, on s’échinait à nous vendre au prix fort.
Presque, car il a suffi d’une journée, celle de vendredi dernier, pour que l’esprit engourdi du chroniqueur se réveille enfin. Vendredi 18 janvier 2019. On note la date, elle restera dans les mémoires. Dès le début de l’après-midi, les rues s’animent de manière incroyable. La place Neuve se remplit à vue d’œil, l’entrée du parc des Bastions, qui pourtant s’y connaît en mouvements de foule, fait portail ouvert pour accueillir d’un coup 5000 manifestants. Du jamais vu: masse critique dépassée, masse protestataire confirmée.
La mobilisation des élèves du secondaire contre le réchauffement climatique a pris tout le monde de court. Les trams de la ligne 12 sont bondés, ils se vident tous au même endroit. D’autres participants arrivent à pied, par centaines, les retardataires sont rares. Dans les rangs des jeunes grévistes – les cadets ont 12 ans à peine, les aînés tout juste 18 ans -, on ne veut pas rater une minute de ce cours accéléré d’éducation militante.
Les primo-manifestants sont largement majoritaires, c’est leur première manif, ils savent pourquoi ils sont là, ils savent contre quoi ils se battent: l’incurie d’une classe dirigeante, beaucoup plus soucieuse de la préservation de ses propres intérêts que d’enrayer le désastre actuel. C’est martelé avec un pressant sentiment d’urgence tout au long du cortège qui s’étire d’une rive à l’autre, c’est écrit sur des centaines de banderoles qui n’oublient pas l’humour.
Citations : «Pas de climat, pas de chocolat!», «Rendez-nous une terre propre!», «Nous, on voit la vie en vert!», «Pour que le ski alpin ne devienne pas du ski nautique!», «On est plus chaud, plus chaud que le climat». Ce dernier slogan sert de tapis sonore à cette marche collective qui file à grande vitesse en direction de la place des Nations.
Les meneurs d’allure en chasuble jaune sont contraints, non pas de canaliser les débordements - inexistants tout au long du parcours -, mais de recadrer l’impatience générale, de jouer la montre en somme, en improvisant pauses et sittings à même la chaussée, afin de profiter des trois heures pleines négociées sans difficulté avec les forces de l’ordre.
«La cause est noble, la cause est juste», glisse à l’oreille du localier l’un des accompagnants officiels. Il porte un grade que l’on taira, sa réaction concernée et responsable impose le respect. Au même instant, les commentateurs en chambre déversent leur fiel sur les réseaux sociaux, dénoncent ce «nouveau jeunisme» au bas des articles qui relatent la manif sur les sites des journaux. Ils répondent d’un ton haineux et rejetant à cette jeunesse d’aujourd’hui qui se soulève et qui n’attendra pas le printemps pour redescendre dans la rue. Un nouveau rassemblement est d’ores et déjà prévu le samedi 2 février dans toutes les villes de Suisse.
Promis, juré, on reste dehors pour vous raconter la suite."
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