Cédric Lenoir, avocat spécialisé en droit immobilier, associé de l’Etude LENOIR DELGADO & Associés.
La presse s’est fait l’écho cette semaine d’une décision importante de la cour de justice de Genève rendue le 11 septembre dernier et qui concerne un certain de nombre de propriétaires de villas dont les parcelles ont été placées ce qu’on appelle des « zones réservées ».
Il faut d’abord expliquer dans les grandes lignes le contexte dans lequel s’inscrit cette décision de justice. Comme cela ne vous aura certainement pas échappé, le canton de Genève fait l’objet d’une grave et récurrente pénurie de logements. Pour enrayer cette pénurie, l’Etat dispose d’outils d’aménagements du territoire dont notamment le plan directeur cantonal, qui définit les grandes orientations d’aménagements qui doivent permettre de favoriser la construction de logements sur le long terme, soit en l’occurrence 2030.
Parmi les mesures envisagées figure le déclassement de certaines zones villas pour permettre la construction d’habitations beaucoup plus denses (des immeubles). Le problème c’est que déclasser une zone villa, cela prend un certain temps. Ce que veut éviter l’Etat, c’est que les propriétaires de villas n’attendent pas le déclassement de leurs parcelles et entreprennent des travaux importants ou densifient leur parcelle non pas avec des immeubles mais avec des villas contiguës, puisque c’est la seule chose qu’ils peuvent réaliser avant le déclassement de leur parcelle.
Et concrètement quel est l’outil juridique qui permet d’éviter cela ?
C’est ce qu’on appelle les zones réservées. Concrètement, il s’agit d’un périmètre défini par le Conseil d’Etat qui interdit à tous les propriétaires de villas concernées par cette zone réservée de réaliser d’importants travaux ou de réaliser des villas plus denses pendant une période maximale de cinq ans, le temps que les parcelles puissent être déclassées pour permettre la réalisation d’immeubles.
Quel est l’inconvénient pour les propriétaires ?
L’inconvénient est simple, c’est, d’une part, que les propriétaires ne peuvent plus valoriser leur terrain pendant toute cette période de cinq ans en construisant des villas groupées (par exemple), et d’autre part, que cela en diminue la valeur puisque le potentiel constructible est très restreint pendant cette période. C’est d’ailleurs l’argument qui a été soulevé par les propriétaires qui ont recouru contre l’arrêté du Conseil d’Etat fixant le périmètre de ces zones réservées, en se prévalant de la garantie constitutionnelle de la propriété.
Et alors, quelle a été la décision rendue par la Cour de justice à ce sujet ?
En résumé, la Cour de justice a considéré que cette mesure était (1) fondée sur une base légale suffisante, (2) quelle était justifiée au regard de l’intérêt public poursuivi, soit celui d’un aménagement rationnel du territoire et (3) qu’elle respectait le principe de proportionnalité puisque la mesure était limitée dans le temps.
Le point sur lequel l’Etat a perdu est celui du critère temporel. L’Etat prétendait que le délai de cinq ans courrait dès l’entrée en vigueur de l’arrêté délimitant les zones réservées, en l’occurrence en juillet 2017. La Cour de justice a considéré que ce délai avait en réalité déjà commencé à courir au moment où l’Etat a publié sur son site internet les cartes relatives aux zones réservées en juillet 2015, en considérant que cette publication avait déjà déployé des effets concrets pour les propriétaires concernés, car leur parcelle perdait de facto beaucoup de leur valeur du fait qu’elles allaient figurer dans le périmètre des zones réservées.
Cela signifie que l’Etat ne dispose plus que de 2 ans pour déclasser les parcelles concernées, après quoi les propriétaires pourront de nouveau librement disposer de leur terrain. Il faut cependant encore préciser que cette décision peut faire l’objet d’un recours au Tribunal fédéral, donc affaire à suivre.