C’est le scoop de la semaine ! On aurait vu un extraterrestre atterrir dans le Jardin Anglais qu’on n’aurait pas été plus surpris : un Suisse sur deux avoue avoir déjà volé !
Que ce soit dans les supermarchés, au restaurant, au travail, à l’hôtel, dans les kiosques, les transports publics, 49% des Suisses, tous âges confondus, tous sexes confondus, piquent, chapardent, dérobent.
Cette information, issue d’un sondage effectué autant en Suisse alémanique qu’en Suisse romande par le comparateur en ligne Moneyland, est un vrai tremblement de terre ! Elle met à bas des siècles d’image du bon Suisse travailleur, honnête, sérieux, fiable, intègre.
A mon tour d’avouer : moi aussi, mon Père, j'ai péché. J’ai volé, j’ai piqué, j’ai chapardé. Une petite pomme par-ci par-là aux caisses sans caissière, un Mars, quelques paquets de couches accrochés distraitement à la poussette quand les enfants (il y a prescription) étaient bébés, quelques rames de papier du bureau pour mon imprimante à la maison, des trajets en bus… Et, j’avoue, je suis de celles qui, si le serveur au restaurant oublie de tiper un Coca ou un café, surtout, ne disent rien. C’est pas cool ? Pardon, mea culpa.
Mais... qu’est-ce que ça fait du bien, les amis !
Parce que, et c’est là que je veux en venir, je crois en la vertu thérapeutique du chapardage.
Pourquoi vole-t-on alors que, comme le reconnaissent les Suisses sondés, ils ne sont pas en train de mourir de faim, ni de froid, et pourraient payer leur ticket de tram ?
D’une part parce qu’ils ont l’impression, à tort ou à raison, de payer trop cher, et que se servir au supermarché, ça ne fait de tort à personne.
Et d’autre part parce que piquer, c’est bon, ça crée un petit mais irrésistible sentiment de jubilation, une satisfaction quasi jouissive, accessible, facile et, par définition, gratuite.
Et, mis bout à bout, un petit sentiment de satisfaction - même déplacé, même inutile, même dérisoire - plus un autre petit sentiment de satisfaction, plus un autre, ça fait qu’en Suisse, on n’a pas de Gilets Jaunes. On n’a personne qui bloque les ronds-points et les autoroutes en dénonçant la cherté du franc suisse, le du coût de la vie en Suisse, la baisse constante du pouvoir d’achat, la hausse des impôts, la hausse des primes d’assurance – alors que tout cela, même en Suisse, est réel. Mieux : on n’a pas de Gilets Jaunes, et quand on nous demande notre avis, on refuse une semaine de vacances supplémentaire ou une baisse des impôts.
C’est que - et c’est ce que nous apprend ce sondage - chaque jour, tranquillement, à leur rythme de petits chapardeurs du dimanche, les Suisses éteignent leur éventuel ressentiment social, soignent leurs frustrations économiques, se vengent sans faire la révolution des injustices dont ils se sentent victimes, se remboursent sur la bête.
Alors au lieu de voir cette nouvelle comme la fin d’un mythe, comme une tache sur l’image propre en ordre de la Suisse, comme une honte nationale qu’il faudrait expier désormais jusqu’à la fin des temps, réjouissons-nous : ce chiffre de 49% d’Helvètes qui avouent avoir déjà volé, c’est la solution pragmatique, indolore, invisible, individuelle, sommes toutes très libérale et capitaliste, que nous avons mis au point en Helvétie pour éviter le grabuge, le vrai.
Alors surtout, que la maréchaussée se garde d’intervenir, que les supermarchés se gardent se renforcer la sécurité aux caisses et les CFF de multiplier les contrôles : ça risquerait de mal tourner. Pour de vrai.
https://www.radiolac.ch/podcasts/les-signatures-30012019-081941/