Aux abords d’une église dans laquelle on fête le centenaire des apparitions de Fatima, il neige désormais chaque nuit. Nous sommes à Genève, nous sommes à l’avenue de Sainte-Clotilde, dans le quartier de la Jonction, et ce miracle est quotidien.
Une pellicule blanche recouvre en effet, au petit matin, les engins motorisés garés le long du trottoir. Des scooters sont particulièrement concernés. Une voiture également, de type 4x4, grosse et large. Son pare-brise est inutilisable, sauf à recourir au grattoir hivernal pour retirer la couche durcie qui empêche toute visibilité depuis l’habitacle. C’est à peine si l’on devine en s’approchant le macaron autorisant cette immobilité souillée, comparable à des bateaux ventouses au sortir de l’hiver, dans le port des Eaux-Vives.
Au nez, en s’approchant, ça pue drôlement. Cette housse neigeuse, coiffant la totalité de la carrosserie, dégage une odeur caractéristique: celle de la fiente d’oiseaux. Elle ne tombe pas du ciel, mais des platanes qui font de l’ombre au trottoir. Leurs feuilles ont blanchi. C’est qu’ils sont colonisés du coucher au lever du soleil par des milliers d’étourneaux.
Ces pendulaires ailés faisant des allers-retours entre la ville et la campagne, utilisent les arbres comme des dortoirs urbains, après avoir passé la journée dans le vignoble genevois à se nourrir de fruits, de baies et de grains de raisins surmaturés. Une saine alimentation favorisant le transit à l’heure du coucher et du réveil.
Il est donc recommandé de ne pas stationner sous ces feuillus aux branches douillettes, car l’étourneau s’y sent chez lui. Il y trouve une température plus élevée qu’en rase campagne – les aubes sont moins froides à Plainpalais qu’à Satigny - et surtout davantage de sécurité contre les prédateurs. Son plaisir de squatter en ville se traduit par un chant comparable en intensité à celui d’un chœur d’armée.
Les mâles sont de surcroît doués pour l’imitation. Dans leur vaste répertoire, fait de reprises et de citations sonores, ils intègrent les bruits de la rue, les klaxons et les sonneries de vélos. Les deux d’ailleurs se disputent de plus en plus notre paysage sonore, les cyclistes pressés abusent à leur tour de l’avertisseur.
Vous l’entendez, vous aussi, n’est-ce pas, cette sonnette qui siffle sur nos têtes, ce son aigre et cristallin qui nous casse les oreilles. Eh bien, l’étourneau, roi du plagiat, est capable de le reproduire à volonté dans son platane-dortoir, juste avant de s’endormir.
Il finit à son tour par se lasser de ce bruitage urbain sans talent. Son instinct migratoire le rattrape. Genève n’est pour lui qu’une ville étape. Il est resté une semaine, parfois deux, rarement plus longtemps. Le sud l’appelle. Le voici en quelques jours en Espagne, en Sicile, plus loin en direction du Maghreb pour ceux qui aiment voyager.
Je regrette déjà son départ. J’allais chaque soir l’écouter sur l’Ile Rousseau. Concert du crépuscule, assurée par une volière géante à ciel ouvert. Et je regardais tomber la neige sur la tête en bronze de notre écrivain à nous, prénom Jean-Jacques, le cheveu blanchi et dégoulinant, ressemblant à ce bout de falaise sur laquelle niche les oiseaux marins.
Salut bel étourneau.
A la semaine prochaine, pour nous autres bipèdes qui ne savons pas voler.