Genève est une ville merveilleuse. Genève est une ville calme et paisible, Genève est une ville en vacances. Profitons-en pour la regarder droit dans les yeux et s’expliquer, entre adultes, pendant que les enfants jouent dans la cour de l’immeuble.
Genève est une ville passionnante car elle cache beaucoup de choses. Silence radio – c’est le cas de le dire – sur ses mauvais garçons, ses mauvaises adresses, ses pensées troubles et ses embardées nocturnes. Le jour, elle se donne beaucoup de peine pour communiquer le moins possible; la nuit, elle se démène jusque dans le sommeil pour ne rien communiquer du tout.
La nuit qui tombe, de plus en plus vite, c’est l’automne. Dehors, c’est tout noir, prise de service avancée pour le localier. Il est 20h30, un samedi soir au centre-ville. Les trottoirs sont bondés. Ambiance apéritive, un dernier verre avant de se mettre à table. Sur la bien nommée place du Cirque, il règne une effervescence particulière.
Un attroupement se forme aux abords d’une adresse historique, une brasserie spécialisée dans le fromage fondu. Les clients tournent leur morceau de pain dan le caquelon, tout en jetant un regard distrait sur une grosse masse noire, bizarrement posée devant l’enseigne, à même le boulevard qui remonte en direction de la gare.
Noire métallisée comme la carrosserie d’une Porsche Carrera 911 S dont le simple énoncé de la fiche technique fait rêver: 420 ch de puissance, vitesse maximale de 310 km/h, prix de base sur catalogue, 146 000 francs.
Le modèle garé à contresens sur le boulevard Georges-Favon ne fait plus rêver. Sauf les amateurs de crash-test sur des voitures de luxe. La roue avant droit sort du châssis comme une dent de sagesse poussant de travers, l’arbre de l’essieu est tordu, le pare-brise étoilé, le moteur est enfoncé, bon pour la casse. Au volant, dans la minute précédant la sortie de route, un cascadeur de quarante ans, roulant à grande vitesse en milieu urbain.
Les airbags ont fait le travail. Le chauffard est indemne, il prend ses jambes à son cou et court se cacher non loin de là, dans un grand moment de courage. Le chien policier retrouve son mollet et le conduit devant le procureur. La suite sera plus compliquée pour lui.
Ce qui précède est effrayant. Sur plus d’un kilomètre, le coureur automobile du samedi soir a laissé des traces. Un scooter est couché sur le flanc le long du pont de la Coulouvrenière; un peu plus loin, une voiture de tourisme est immobilisée au milieu de la chaussée, après avoir été percutée par l’arrière. Une jeune mère et son nourrisson étaient à l’intérieur. Ils ne sont miraculeusement pas blessés. Le scootériste, si, acheminé en ambulance à l’hôpital.
L’axe principal reliant la rive droite à la rive gauche est bouclé dans les deux sens pour permettre aux secours d’intervenir, aux enquêteurs de relever les traces au sol de cet accident à la cinétique violente. Sept heures de chantier ouvert dans l’urgence, sans la moindre info-route pour orienter les gens vers un pont routier voisin. L’exception genevoise, l’ordre vient d’en haut, on ne communique rien, répète à qui veut l’entendre le pouvoir judiciaire. Sacré pouvoir, en effet.
C’est dommage, c’est regrettable, car ce qui se donne à voir là mériterait justement d’être communiqué au grand public. Pour faire taire la rumeur en informant les gens, pour saluer le travail admirable des secouristes, mais surtout pour soutenir à voix haute un vrai discours de prévention. Sur ce plan, le silence de nos autorités est assourdissant.
Genève est une ville merveilleusement dangereuse. A la semaine prochaine, « Dehors », encore et toujours.