L’initiative populaire « Pour des multinationales responsables » met le Parlement sur les nerfs. Une commission du Conseil national vient de demander un contre-projet. Alors que la Chambre des Cantons n’en veut pas.
Oui, cette initiative populaire fait peur à Berne, parce que son intitulé rend toute contradiction politique impossible. S’opposer à un texte qui demande que les multinationales soient responsables ? Mais qui a envie que les entreprises soient irresponsables ? A première vue, ce texte devrait obtenir 100% d’approbation.
Que demande l’initiative plus précisément ?
Que des entreprises basées en Suisse puissent être condamnées à payer des dommages et intérêts pour des violations des droits humains et environnementaux dans le monde. Genre travail des enfants ou grave pollution. L’initiative vient principalement d’ONG en Suisse.
Dit comme cela, c’est vrai que ça semble assez évident.
Oui Philippe. Le problème, c’est que les cas seraient jugés en Suisse, selon le droit suisse, mais pour des actes commis très loin de la Suisse. En Afrique par exemple. Supposons que des Nigériens (au hasard), soutenus par des ONG, veuillent obtenir réparation. Actuellement, ils se tournent vers la justice de leur pays. Contre une entreprise supposée fautive, basée sur place, de droit nigérien mais détenue par un groupe suisse. Ce que demande l’initiative, c’est que les victimes puissent passer par dessus cette justice locale à laquelle ils ne font pas confiance. Et qu’elles puissent s’adresser plutôt à un tribunal suisse.
Ce genre de disposition existe dans d’autres Etats ?
A ma connaissance non, et c’est bien là le fond du problème. Si cette initiative passait, il semble tout à fait illusoire que ce rigorisme helvétique s’impose ailleurs dans le monde. Les grands Etats s’inspirent rarement des petits. Alors les opposants à l’initiative craignent surtout que la Suisse devienne un enfer juridique pour les multinationales. Avec des effets négatifs sur la prospérité du pays.
Alors pourquoi tant de réticences à Berne s’agissant de proposer un contre-projet ? Ça permettrait aux votants de se prononcer également pour des multinationales responsables. Mais sur une version édulcorée.
Oui, mais on ne voit pas très bien quelle alternative proposer. Sauf à se contenter d’imposer aux multinationales suisses de publier des rapports sociaux et environnementaux. Ce qui est déjà largement pratiqué.
Ce qui veut dire que les opposants à un éventuel contre-projet sont prêts à prendre le risque économique d’une acceptation de initiative ?
Apparemment oui. C’est une manière de faire confiance au corps électoral. On sait que les Suisses sont en général tout à fait capables de discernement sur ce genre de question. Responsables ou non, pourquoi la majorité des citoyens voteraient pour une initiative qui pénaliserait probablement la Suisse sur le plan économique ? Pour un résultat global dérisoire du point de vue de la morale ?
C’est un peu triste à dire, mais mieux vaut attendre que Bruxelles, Washington ou Pékin ouvrent la voie.
https://www.radiolac.ch/podcasts/economie-avec-francois-schaller-08042019-074439/