Bonjour Benoît. Une disparition est programmée dans le monde des transports ?
Eh oui. Une espèce s’apprête à quitter la surface de la terre. C’est un pan entier de notre civilisation qui pourrait s’effacer. Je veux parler des voitures, oui, des bagnoles et de leurs infrastructures, qui marquent pourtant nos paysages et nos villes depuis longtemps.
Alors pas d’inquiétude : je ne me suis pas soudainement transformé en Nostradamus du moteur à explosion. Je ne veux pas jouer les Paco Rabanne de la carrosserie. Non, je me réfère simplement à un fait : chez nous, comme ailleurs, tout le monde veut enterrer la voiture !
Vous en êtes sûr ? Pourtant, les projets de construction et d’élargissement fleurissent un peu partout, non ?
L’enterrement annoncé des moyens de transport individuels et motorisés sera véritablement de première classe. Car en fait, mettons fin au suspense, il ne s’agit pas de tuer la voiture, mais bien de la faire vivre, c’est-à-dire circuler, sous terre.
Cette semaine, c’est le gouvernement du canton de Fribourg qui a demandé un crédit de pas moins de 4 millions pour étudier la couverture d’environ un kilomètre d’autoroute. C’est en quelque sorte une contribution originale au débat sur l’aménagement du pays qui a cours en ce moment : contre le mitage du territoire, le raccomodage du territoire !
Pour les promoteurs de ce secteur d’avenir qu’est l’industrie du plafond pour autoroutes, ce qui était hier du terrain perdu, utilisé pour une infrastructure, peut en fait être demain à nouveau du périmètre constructible. A Lausanne, notamment, dans le quartier des Boveresses, là où l’autoroute, qui passe dans une tranchée, coupe un quartier en deux, une analyse est en d’ailleurs cours dans le même sens.
Mais il ne s’agit pas seulement de faire disparaître les routes existantes. Outre-Atlantique, au paradis des énormes cylindrées, d’autres idées émergent… ou plutôt, s’immergent…
Aux Etats-Unis aussi, on veut mettre les voitures en sous-sol ?
Oui, et c’est l’inénarrable Elon Musk qui nous offre un nouveau concept : le tube routier souterrain à haute vitesse, adapté, bien sûr, aux inévitables voitures autonomes. Et il a trouvé une façon amusante de le vendre, puisqu’il appelle ça faire passer la mobilité en 3D. Tous les médias ont assez docilement relayé son wording : avec quelques tunnels, ce serait une véritable révolution des transports qui s’annonce…
Si faire passer les voitures en sous-sol les cache effectivement, les tunnels et autres autoroutes couvertes empêchent en fait surtout de se demander : voulons-nous continuer à construire notre mobilité sur des déplacements individuels ? Quand les tunnels seront embouteillés, il faudra d’autres tunnels ! L’enthousiasme béat face à toutes les propositions qui portent plus ou moins le label de la créativité entrepreneuriale fonctionne en fait comme une machine à éviter cette discussion – et ses conséquences sont nombreuses, y compris ou même surtout, au final, sur le mitage du territoire. L’habitat individuel et la voiture individuelle forment en effet un couple difficilement séparable.
Mais des routes couvertes, est-ce toujours une mauvaise idée ?
Couvrir des parties d’autoroutes existantes, pourquoi pas. Mais pour paraphraser Galilée, ce qui descend… finit toujours par remonter à la surface ! Le risque, c’est de voir se répandre l’idée que si les réseaux routiers ne consomment plus de territoire en surface, alors on peut les développer, encore et encore… Autant d’investissements qui ne seront pas consacrés aux modes de transport réellement durables.
Le modèle de propriété individuelle d’une ou plusieurs voitures, que l’on utilise pour l’ensemble de son déplacement et donc y compris au cœur des zones urbaines comme le veut le projet d’Elon Musk, ce modèle n’est pas compatible avec la lutte contre le réchauffement climatique et le gaspillage des ressources – car même les voitures électriques ont besoin de matières premières non renouvelables. En fait, mettre les voitures dans des tunnels, même de manière innovante et disruptive, ce n’est rien qu’une prolongation de la grande tendance individualiste des 50 dernières années… More of the same, en fait. A cet égard, pas étonnant que l’entreprise du fantaisiste californien s’appelle The Boring Company, la compagnie qui creuse, donc, mais aussi, et le jeu de mot est volontaire, la compagnie… ennuyeuse. Pour nous faire rêver à la mobilité de demain, il faudra en effet un peu plus que quelques routes couvertes !
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