L’opposition manifestée contre une aire de stationnement destinée aux Yéniches suisses vous interpelle ce matin ?
Franchement, j’ai l’impression que pour une partie de la population suisse, les gens du voyage forment une sous-catégorie. En effet, cela fait des années que les Yéniches suisses, c’est une minorité nationale reconnue, sont clairement discriminés. Contrairement à ce que pense une partie de la population, ce sont de bons Suisses, qui travaillent et paient taxes et impôts. Après de longues recherches et tractations, le Canton de Vaud a mis à l’enquête publique une place qui leur est destinée, dans une zone industrielle au Mont-sur-Lausanne. Ce site pourrait accueillir une quinzaine de convois, soit une cinquantaine de personnes au maximun.
Et ce projet passe mal. En effet, au terme de la procédure d’enquête, une cinquantaine d’oppositions ont été déposées contre le projet conduit par les autorités cantonales vaudoises, avec l’accord de la commune, et pour lequel Etienne Roy, préfet du district Jura-Nord vaudois et médiateur en charge des gens du voyage, s’est dépensé sans compter. Ces oppositions, et une pétition portant quelque 1500 signatures lancée par un jeune citoyen Mont-sur-Lausanne, témoignent d’une méconnaissance crasse de cette communauté, dont le comportement n’a rien de comparable à celui de certains groupes de gitans qui traversent le pays dès le retour des beaux jours.
C’est un drame qui se perpétue ?
D’une certaine manière. Car des décennies durant, les Yéniches, leur population est estimée à quelque 30 000 personnes, ont été proprement discriminés et traités comme des parias. Et pourtant, leur porte-parole, Albert Barras, ne cesse de démontrer que les membres de cette communauté sont très respectueux des lois. Ce qui ne les empêche pas de perpétuer une culture et un mode de vie de gens libres. Mais dans l’esprit des opposants à cette aire de stationnement, ce ne sont que de vulgaires voleurs de poules.
Le coût de cette place est dénoncé ?
C’est sans doute l’aspect le plus surprenant de la fronde. Car il faut bien aménager la place et des installations sanitaires, soit un investissement de quelque 660 000 francs, pris en charge principalement par le Canton de Vaud, mais aussi par l’Office fédéral de la culture et la fondation en faveur des gens du voyage. C’est beaucoup, mais en même temps peu pour une communauté qui a toujours assumé son indépendance, y compris sur le plan financier. A titre de comparaison, la Ville d’Yverdon-les-Bains a dépensé plus d’un million de francs pour un skate park !
Les Yéniches gagnent à être connus. Ce sont des gens qui ont généralement le contact facile, car ils excellent dans les rapports humains, indispensables pour mener à bien leurs activités, bien loin du marketing commercial. Et puis, chose essentielle, ils ont l’esprit de famille et une culture musicale extraordinaire. Il suffit d’écouter leur pasteur May Bittel jouer de la guitare pour réaliser à quel point leur vie est simple et riche à la fois. Et je ne peux bien évidemment ne pas citer le plus célèbre représentant de cette communauté, Stephan Eicher. Pas plus tard que samedi dernier, le chanteur confiait à nos confrères du Figaro qu’il défendait enfin ses racines.
Un conflit interminable avec sa maison de disques l’a en effet renvoyé à ses origines, à sa famille et à sa musique. Au moment où il entame une tournée avec les douze musiciens de Trakokestar, je rêve de le voir débouler au Mont-sur-Lausanne le jour de l’inauguration de la fameuse place d’accueil. Non seulement parce que la musique adoucit les mœurs, mais aussi parce que les opposants prendront conscience ce jour-là de la chance qu’ils auront d’avoir, quelques mois par année, des Yéniches suisses comme voisins.
https://www.radiolac.ch/podcasts/les-signatures-14012019-081741/