La poursuite des manifestations des gilets jaunes se traduit, côté police, par un cumul des heures supplémentaires.
C’est une constante dans pratiquement tous les pays occidentaux, les policiers sont au service de l’Etat nuit et jour, chaque fois que les circonstances le commandent. Il fut un temps où le gendarme vaudois qui occupait un poste unique en campagne faisait équipe… avec son épouse. Celle-ci devait d’ailleurs témoigner d’une moralité irréprochable, que le commandant du corps se chargeait de vérifier. Ils devaient tout leur temps à l’Etat. C’est dire que la notion d’heures supplémentaires tenait de la pure théorie.
Mais les temps ont changé.
Vous avez raison. Les policiers sont, hors les heures de service, des citoyens comme les autres. Ils ont non seulement droit à une vie privée, mais aussi à un temps de repos. Et pas question qu’un supérieur se prononce sur la qualité de leur conjoint. L’obligation de domicile a également disparu et le policier se rend à son travail en civil, comme n’importe quel autre citoyen.
Et les heures supplémentaires sont désormais aussi comptées.
Effectivement. En Suisse romande, le problème est déjà apparu à Genève lors de la rencontre entre le président américain Ronald Reagan et le numéro un soviétique Mikhail Gorbatchev. Ce sommet de quatre jours, tenu par une température sibérienne en novembre 1985, a marqué l’entame du grand dégel entre les deux blocs. Mais pour les policiers genevois, c’était le début d’un incroyable cumul d’heures supplémentaires. Car à chaque conférence internationale, elles n’ont cessé d’augmenter pour se chiffrer en centaines de milliers.
L’Etat aurait pu les payer ?
C’est justement la proposition qui a été faite par les autorités de l’époque, mais elle n’a pas trouvé grâce devant les intéressés et leurs syndicats. En effet, ce supplément de salaire était un cadeau empoisonné : il aurait provoqué des charges fiscales supplémentaires par l’augmentation du revenu. Il a fallu des années de négociations pour trouver un compromis, une partie des heures étant payées, les autres reprises. Dans de très nombreux cas, elles n’ont été récupérées qu’au moment où le policier quittait le corps. Il abandonnait son poste plusieurs semaines, voire plusieurs mois avant le jour officiel de la fin de service, laissant ainsi un poste libre, qui n’était repourvu, pour des raisons budgétaires, qu’après son départ. Autant dire que l’ensemble du corps en a pâti.
La France connaît donc le même problème ?
Et il n’est pas nouveau. Mais les manifestations à répétition des gilets jaunes sollicitent les corps de police à un tel point que les syndicats ont sommé le ministre de l’intérieur Christophe Castaner de régler une fois pour toutes un problème vieux de plusieurs décennies. En effet, avant même ces manifestations, les policiers avaient déjà cumulé plus de 3 millions d’heures supplémentaires, représentant près de 280 millions d’euros. Une ardoise qui vient s’ajouter à l’épuisement des forces de police, et aux quelque 2200 milliards de dettes du pays.
Les mouvements tels celui des gilets jaunes sont tout de même rares.
Oui, mais à l’instar de certaines épidémies, on en connaît épisodiquement. En Suisse romande, au tout début des années quatre-vingt, le mouvement protestataire Lausanne Bouge avait contraint les forces de police à se mobiliser pratiquement tous les samedis, des mois durant, au cœur de la ville. Policiers municipaux et gendarmes avaient alors aligné les heures supplémentaires en tenue de maintien de l’ordre. Il y avait eu bien évidemment des échauffourées, l’utilisation du canon à eau et des gaz lacrymogènes. Mais fort heureusement peu de blessés. Finalement, les jeunes manifestants avaient obtenu l’ouverture d’un Centre autonome à la rue Saint-Martin, la mise sur pied d’une véritable politique de la jeunesse, et cela ne s’invente pas, la Dolce Vita, haut lieu de la culture alternative, où un certain Stephan Eicher avait fait son premier concert lausannois, et auquel il est resté fidèle jusqu’à sa fermeture.