Genève est une ville riche et comme toutes les villes bien pourvues, elle a les moyens de s’offrir ce qu’elle ne possède pas naturellement. Avant-hier, dans le parc des Bastions, un marché de Noël de village de montagne; hier, dans ce même lieu historique, un snowpark destiné aux amateurs de glisse.
Genève ressemble ainsi à ces capitales du golfe Persique où l’on peut skier tous les jours de l’année, sous des dômes climatisés, des serres luxueuses construites à l’intérieur de centres commerciaux, servant à cultiver une neige artificielle qui n’a rien d’écologique.
Le raccourci avec Dubaï est sans doute exagéré. Notre municipalité entretient, il est vrai, une relation compliquée avec ces géographies lointaines. Sauf lorsqu’un résident célèbre, pendulant entre les continents, les plages de sable fin et les lacs gelés, vient se montrer sur le balcon du palais Eynard. Il y avait foule vendredi dernier pour applaudir Federer, joueur de génie et gendre idéal, dont le capital d’idolâtrie n’a jamais été aussi élevé.
La foule était moins compacte le lendemain pour admirer les adeptes du freestyle enchaîner les runs, les tricks et les figures sur du mobilier urbain planté dans la pente enneigée. Cet or blanc, qui ne descend pas du ciel, mais arrive par camions de la patinoire des Vernets, suscite quelques réserves chez le localier qui préfère les sports d’hiver en altitude, dans leur décor authentique et sous une température de saison. Il faisait 14 degrés ce samedi aux Bastions.
Les porteurs de bonnet en laine suent comme des joueurs de tennis à Melbourne. C’est qu’ils passent leur temps à remonter à pied, la coursive en tubulaires qui les amène au sommet de la pente. En station, aux abords des snowparks et des pistes, ils profitent des remontées mécaniques.
Là, on marche et on grimpe à la force des mollets. Et, de l’avis même des participants, c’est trop bien; ça l’est tellement que cela finit par le devenir pour nous aussi, spectateurs ignorants de cette discipline d’aujourd’hui alliant précision, virtuosité et plaisir contagieux.
On se prend au jeu, on revient une deuxième fois pour la session nocturne, puis une troisième le dimanche pour la «compète» finale. L’ambiance est détendue, l’aire d’arrivée ressemble à un festival de musique en plein air, l’exact contraire de ces compétitions sportives formatées où le public chauvin agite ses drapeaux nationaux devant les caméras de télévision.
Comme on est issu de cette culture-là, que l’on skie avec des bâtons vintage marqués du nom de Jean-Claude Killy - c’est qui, ce mec, triple médaillé d’or aux Jeux olympiques de Grenoble? -, on attend stupidement que les organisateurs installent un podium à trois places au moment de la proclamation des résultats.
Les vainqueurs, les vaincus et leurs juges restent sur le même plan, les deux pieds dans cette neige de culture qui commence à faire des grumeaux et des trous. On se félicite, on se congratule dans une gestuelle communautaire, on se donne rendez-vous pour la prochaine étape romande de ce Jibtown. Ce sera cette fois à la montagne. Du côté de Grimentz dans le Valais, à la fin de cette semaine.
Il fera beau, la neige sera naturelle et les feuilles mortes des platanes ne viendront pas recouvrir la zone de réception des sauts comme ce fut le cas dimanche, au plus fort de la baston tempétueuse, très freestyle dans ses effets et ses conséquences. Les pompiers ont bien bossé.