Genève, ville de contraste permanent. Sur la chaussée grise de ce début d’année, des voitures dernier cri à la carrosserie rutilante. Les gros 4x4 sont redescendus de la montagne, ils déposent leurs progénitures devant les préaux des écoles. Jour de rentrée pour tous. Le long du quai des Bergues, non loin d’un hôtel 5 étoiles aux pavés refaits à neuf, une Ferrari rouge attire les regards. Son propriétaire a dépêché du monde pour assurer le gardiennage visuel de sa dernière acquisition. Elle est très photographiée.
Les amateurs font cercle autour de la chose, profitant de l’accessibilité miraculeuse qui s’offre à eux. Les spotters s’en donnent à cœur joie, ils immortalisent au téléobjectif les détails de ce châssis à l’aérodynamisme raffiné. Il règne une ambiance de Salon de l’auto avant l’heure. Spectacle de courte durée.
Le détenteur s’approche de son véhicule, lui parle, les portières s’ouvrent automatiquement comme les ailes d’un papillon. Un bref sourire à la foule, déjà il s’efface et s’enferme dans son habitacle. Les passionnés sont toujours là, ils ont branché la fonction vidéo de leur smartphone. Après l’image, le son. Celui d’un moteur venu d’Italie, au grain mécanique inimitable. La Ferrari au tirage limité – moins de 500 exemplaires dans le monde - file en direction de la rue du Cendrier et disparaît.
Sur cette même rue, ou juste à côté, un kiosque à journaux. Deux tourniquets de cartes postales sur le trottoir. Le localier descend de son vélo. Il préfère ces vignettes cartonnées, jaunies par un soleil d’avant le réchauffement climatique. Le Jet d’eau crache son panache au-dessus d’une rade des années 60. Sur le pont du Mont-Blanc, les voitures sont les mêmes que dans les films de Jean-Luc Godard.
Au volant d’une décapotable, c’est «Pierrot le fou» qui nous lance son sourire de voyou «Nouvelle vague». J’achète, je colle un timbre et j’envoie. Des vœux de bonne année à l’ancienne, recto-verso, en griffonnant une pensée du dehors, debout sous la marquise d’un bar-tabac à l’enseigne clignotante.
Ces petites missives qui ne cachent rien donnent du travail au facteur. On lui confie sa salive et l’adresse, parfois incomplète, d’un destinataire. A charge pour lui de la retrouver. Le voici, le temps d’une tournée, dépositaire de nos amitiés, de nos amours, de nos fidélités épistolaires.
Les métiers du dehors se donnent la main, le chasseur d’insolite au ras du bitume se sent moins seul. Il oublie la Ferrari au moteur vrombissant, il se réfugie sans nostalgie dans le portrait en noir et blanc de ses acteurs favoris, de ses actrices préférées. Vite, une nouvelle Marilyn Monroe envoyée à l’ami dont la voix manque. La star hollywoodienne a dessiné un cœur sur le sable et jette un regard joyeux à la caméra.
Beauté éternelle sur un bout de carton, la poste restante du cinéma, si l’on veut bien. Oui, on le veut: le choix s’impose pour bien commencer l’année, dans une ville avare de figures qui font rêver. Quoique: Jeanne Matti, la courtepointière du quai Charles-Page, aura 105 ce vendredi 11 janvier. Cette première chronique 2019, cette carte postale sonore sont pour elle, une femme sensationnelle, qui aime les belles voitures, les défilés de mode et les velours rouges des anciennes salles de cinéma. Bon anniversaire, Jeanne.
A la semaine prochaine, pour d’autres cartes postale de la rue.
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